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énorme. Il fallut d’avance organiser, d’accord avec les compagnies des grandes lignes télégraphiques, tout un système de messages ayant la promptitude de l’éclair. MM. Dunkin et Criswick se rendirent sur les lieux pour préparer le terrain et observer le ciel. Tout réussit à merveille, et malgré une distance de 800 milles (en comptant les détours des fils galvaniques), chaque étoile passant à Valentia se trouvait aussitôt enregistrée sur le chronographe de Greenwich. Il avait suffi pour cela d’un simple mouvement du doigt. De semblables essais s’étendront sans doute avec le temps à toute la terre, jusqu’à ce que la surface en soit très exactement mesurée. Pourquoi le câble qui s’émeut depuis deux mois au fond de l’Atlantique ne servirait-il point un jour à télégraphier d’un hémisphère à l’autre les mouvemens du ciel et à écrire ainsi l’histoire authentique du temps et des distances[1] ?

Une autre application très curieuse de l’astronomie est celle qui eut lieu vers 1844, non plus seulement pour déterminer la position d’un lieu connu vis-à-vis d’un autre, mais pour diviser des territoires presque entièrement ignorés des voyageurs. Entre le Canada et le nord des États-Unis d’Amérique s’étend une région impénétrable où de sombres forêts vierges, de profonds ravins et de lugubres marais avaient depuis longtemps défié les efforts des deux gouvernemens et les études de la géodésie. À cause de tels obstacles, on n’avait pu encore définir de ce côté-là les limites de l’un et de l’autre pays. Vers 1843, lord Canning écrivit à l’astronome royal pour appeler son attention sur ce sujet, et M. Airy conseilla d’envoyer sur les lieux des ingénieurs militaires auxquels il donnerait d’avance des instructions utiles. En conséquence, quelques officiers de ce corps se rendirent à Greenwich, d’où, après certaines études préalables, ils partirent pour le Canada. Deux groupes d’observateurs armés d’un télescope, d’un chronomètre et de quelques autres instrumens, se placèrent aux deux extrémités latérales de la contrée sauvage qu’il s’agissait de partager. Au moyen de calculs dictés en grande partie par les mouvemens des globes célestes, ils tracèrent un plan de frontières conforme à la nature des traités signés entre l’Angleterre et les États-Unis. Situés à une distance considérable les uns des autres, ils n’avaient d’ailleurs aucun moyen de s’entendre sur la marche des opérations. Les études terminées, un des deux groupes d’ingénieurs s’avança lentement à travers la forêt, perçant un sentier en ligne droite dans la direction indiquée d’avance, et qu’il suivait en quelque sorte sur la foi des étoiles. Quels

  1. New-York se trouvant à peu près située à 74° 40’ longitude ouest de Londres, il est environ cinq heures du matin dans la capitale des États-Unis quand il est dix heures dans la capitale de l’Angleterre.