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en bouche, au grand ravissement des maîtres du logis, pourvus d’une bienveillance inépuisable. L’amie de leur fille était particulièrement choyée. On lui trouvait de l’esprit et des dispositions. Jamais elle n’avait été à pareille fête, jamais elle n’avait respiré un encens pareil. Aussi préférait-elle les Loggie à sa mère, qui du reste ne la questionnait guère sur l’emploi de ses soirées, pourvu que celui des heures de jour lui fût garanti par l’exact paiement du salaire gagné à la fabrique.

Jane cependant se dégoûtait du travail. La fatigue, l’ennui, l’éloignaient de l’usine, où elle se dispensait quelquefois de paraître. Il fallait alors combler le déficit de la paie hebdomadaire, et la mendicité lui venait en aide. Certain jour qu’une belle dame, charmée de sa gentillesse, lui avait donné une pièce blanche, Jane mit de côté ce bénéfice inattendu, et réalisa un vœu qu’elle et son amie formaient depuis longtemps, celui d’aller à l’école de danse. Sous ce nom, vous savez ce qu’il faut entendre, et je ne crois pas avoir à vous raconter la rapide fortune de ces bals publics, inaugurés, je crois, à Liverpool, mais qui n’ont réussi nulle part comme à Edimbourg et Glasgow. Le mal qu’ils y ont fait doit être incalculable ; du moins n’est-il guère d’Écossaise parmi nos convicts qui ne leur attribue sa perdition. — Une fois qu’on m’y eut conduite, nous disent-elles, je ne pensai plus qu’à y retourner. Impossible de m’en arracher tant que je fus jeune fille. — Jane Cameron et Mary Loggie n’en apprirent pas impunément le chemin. Parmi les soi-disant apprentis et les jeunes ouvrières qu’elles y rencontraient, quelques-uns étaient déjà de leurs connaissances. Le patron de l’établissement, toujours souriant à sa clientèle féminine, — plus spécialement aux sirènes expérimentées qui lui amenaient quelque étranger, — les vit avec plaisir figurer parmi ses élèves. Il leur accordait « de l’avenir. » L’avenir ne devait pas se faire attendre longtemps. Jane à douze ans s’était déjà donné un sweet-heart, choisi parmi ses danseurs habituels. Cet apprenti, déjà déserteur de vingt ateliers et qui n’avait pas encore atteint sa quinzième année, appartenait à une association de voleurs ; mais ceci n’effaroucha guère une enfant de la New-Vennel. La police en fut plus scandalisée. Un honnête agent, qui se rendait compte de certaines nuances, prit la peine d’avertir la petite du tort qu’elle allait se faire et des soupçons auxquels désormais elle serait en butte. On se garda bien de l’écouter. Les conseils venaient trop tard, et, loin de se repentir, Jane était toute fière de la préférence que lui accordait John Ewan, — Cannie Jock[1], comme l’appelaient ses collaborateurs habituels.

  1. Jean-le-Subtil.