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le parc de Greenwich. Ce serait dans un pareil cas la ruine de l’observatoire. Telle est en effet la sensibilité de certains instrumens astronomiques, qu’en octobre 1863 l’altazimuth, quoique solidement fixé sur sa colonne, fut ébranlé par un très léger tremblement de terre. Qu’attendre alors de lourdes secousses imprimées par le mouvement des trains de marchandises ? À Watford, dans l’Hertfordshire, un chemin de fer passe à une certaine distance de l’observatoire dans un tunnel, et les tremblemens qui se propagent sous terre sont assez forts pour troubler le travail de l’astronome, sir James South. Est-ce à tort qu’éclairé par de tels antécédens le conseil des visiteurs demande aux lords de l’amirauté d’exclure à jamais les voies ferrées du parc de Greenwich ? Fille de la science, l’industrie doit au moins respecter sa mère.

Il y a deux sortes d’astronomie, l’une isolée dans des hauteurs mystiques, l’autre positive qui, tout en contemplant le ciel, ne perd point du tout de vue les intérêts de la terre. C’est à cette dernière qu’abandonnant la vaine prétention d’exceller en tout s’est rattaché l’observatoire de Greenwich. Ainsi le voulaient sa tradition et le point d’honneur national. Né en même temps que le développement de l’art nautique, dont il conduit la marche et domine les destinées, cet établissement a exercé une heureuse influence sur l’éducation maritime du pays. Le jour où la race anglo-saxonne a découvert le parti qu’elle pourrait tirer de la navigation et du commerce, elle a trouvé son étoile ; mais rien de grand ne se fonde sans le concours de la science ! Quand il s’agit d’un ennemi comme la mer, le courage personnel ne suffit nullement pour réduire les distances et pour abaisser les obstacles. Libre aux poètes d’interpréter autrement les faits ; selon eux, l’Angleterre n’a qu’à marcher sur les vagues ; l’abîme est son domaine, les tempêtes sont ses remparts, et dans les bassins de l’océan s’ouvrent les grands chemins de ses conquêtes. Tout cela peut être vrai, mais encore fallait-il que l’œil de l’astronome parcourût les cieux, et que son doigt désignât au marin les flambeaux des nuits chargés de le guider entre les écueils. Les enseignemens partis de Greenwich n’appartiennent d’ailleurs point seulement à l’Angleterre, ils sont au monde entier. C’est le propre des lumières de la science de ne pouvoir être étouffées sous le boisseau de l’égoïsme national. Les intérêts matériels de tous les peuples modernes ne se trouvent-ils point d’ailleurs plus que jamais confondus à la surface de ces grandes eaux qui rapprochent à la fois les races et les échanges ? La mer qui est le lien des températures est aussi celui de la fraternité humaine.


ALPHONSE ESQUIROS.