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heures plus tard les étoiles brillaient paisiblement dans un ciel qui avait repris sa fatigante sérénité.

20 mars.

J’ai été interrompu hier par une visite, celle de don V. Z…, à qui j’avais apporté des lettres de recommandation de la Havane. Mon nouvel ami ne parle ni français, ni anglais, ni aucune autre langue que l’espagnol. Vous jugez combien la conversation doit être intéressante, et sur quelles béquilles chancelantes elle se traîne pendant les quinze minutes que dure la visite. Mon interlocuteur m’assure qu’il comprend le français facilement, mais ses réponses biscornues me prouvent le contraire. C’est du reste un petit homme très poli, qui ne me quitte pas sans avoir mis, à la manière espagnole, sa maison à la mi disposicion, en ajoutant la formule sacramentelle : Es la casa de usted[1]. Cela veut dire tout simplement en bon français : « je suis votre serviteur, » et équivaut avec la pompe castillane au terre-à-terre happy to see you des Américains du nord. Règle générale, quand un Espagnol met à votre disposition sa maison « et tout ce qu’elle contient, » n’en croyez mot jusqu’à nouvel ordre, et attendez pour prendre au sérieux son hospitalité que ses protestations passent de l’ensemble au détail. Il est obligé d’en dire autant à quiconque lui est présenté, et toute autre façon de parler serait une impolitesse. S’il vous écrit, il datera son épître de esta casa de usted, de votre maison ; pourtant vous seriez fort mal venu à en réclamer les titres de propriété. — Cette fois il s’agit pour moi de congédier mon homme. Je lui ai déjà répété deux fois que j’allais partir pour la campagne dans un quart d’heure, et il m’a répondu en me parlant du climat. Une troisième fois, je reviens à la charge, en y ajoutant le geste expressif de regarder à ma montre et d’être étonné de l’heure qu’il est. Il se lève, et nous nous saluons profondément en nous faisant de solennelles promesses d’amitié ; je crois que je lui ferai un sensible plaisir en lui épargnant ma visite.

23 mars.

Pas encore de bateau signalé. Nous commençons à nous fatiguer d’une aussi longue attente ; nous consultons sans cesse les signaux du port, mais ils restent muets obstinément. Avec quel plaisir j’entendrai résonner le coup de canon qui annoncera ma délivrance ! Nous allons trois fois par jour chercher des nouvelles dans la basse ville, et nous asseoir en gémissant à la porte de M. B…, car

  1. C’est votre maison.