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défendit et lutta. Tout respect, toute obéissance étaient loin. Mistress Cameron menaça d’aller dire aux Loggie tout ce qu’elle pensait de leur famille. Jane y courut pour les prévenir de la visite. Peine perdue, car sa mère fit halte chez les cabaretiers, et si fréquemment qu’elle fut ramassée ce jour-là sur la place. Une fois libérée vingt-quatre heures après, non-seulement elle ne fit aucun retour fâcheux sur la rébellion de Jane, mais celle-ci crut remarquer qu’on la traitait avec moins d’indifférence et de mauvais vouloir. Cette bonace dura jusqu’au retour du « père, » qui d’ailleurs s’absentait de plus en plus fréquemment. Et quand le père fut revenu, — ou du moins très peu de jours après, — une dispersion inattendue vint soustraire Jane à la dégradante influence de ce misérable. Un jour qu’elle se rendait à l’atelier, elle se vit aborder par un policeman très avenant, mais très curieux, qui mêlait beaucoup de questions à beaucoup de sourires. D’abord elle eut peur, car l’aventure du ruban bleu n’était pas encore très ancienne ; mais il n’était pas question de cela. On désirait savoir ce qu’elle avait vu se passer chez sa mère pendant une certaine nuit du mois précédent. Les souvenirs de Jane étaient à cet égard beaucoup plus précis qu’on n’aurait pu le supposer d’après ses réponses. Les moindres incidens du vol dont on recherchait les auteurs lui étaient parfaitement connus, ainsi qu’à sa mère, chez laquelle il avait été commis, et qui s’était malheureusement départie cette fois de sa prudence habituelle.

Tandis que le policeman, sans avoir l’air d’y toucher, interrogeait ainsi la fille de mistress Cameron et ne tirait d’elle que les plus vagues mensonges, le bruit des recherches dont elle était l’objet arriva aux oreilles de la principale intéressée. Elle apprit que le promoteur du vol en question venait d’être mis sous clé, et précisément elle ne croyait pas pouvoir compter beaucoup sur la fermeté de ses dénégations. Aussi lorsque Jane rentra dans le domicile maternel en revenant de la danse, elle trouva les siens dénichés, et comme les logemens gratuits ne chôment guère, une voisine était déjà installée à la place de mistress Cameron, dont elle avait acheté, sans une trop grosse mise de fonds, le mobilier peu nombreux. Cette nouvelle venue était fort peu encline à s’apitoyer sur le sort de l’enfant délaissée. Leur dialogue ne fut pas long. — Où est ma mère ? — En voyage. — Quand reviendra-t-elle ? — Jamais, si elle a le sens commun… Elle a dit que Glasgow ne la reverrait plus. — Où pourrais-je la retrouver ? — Elle ne m’a pas chargée de vous le dire ; d’ailleurs elle doit avoir bien assez de vous… — Mais alors où donc me faut-il aller ? — A la maison de travail,… au refuge,… partout où vous voudrez, mais pas ici. — Fi donc ! je ne veux pas de ces