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de jeunesse et de beauté. Elle parle, et sa voix caressante, ses inflexions enfantines, ses propos naïfs ressemblent à la musique d’une fauvette en liberté. Elle ne montre ni afféterie, ni mauvaise honte, ni prétentions de beau langage, ni aucune de ces fausses pudeurs des femmes qui jouent un rôle. C’est bien l’enfant de la nature qui se laisse voir telle qu’elle est sans y songer, sans essayer de donner le change sur sa beauté ni sur sa vertu.

Vous plaît-il à présent d’entrer dans cette cabane délabrée qu’enferme une palissade de bambous ? C’est la demeure d’une jeune fille lettrée, sachant lire et écrire, sœur d’un officier de la marine française. Nous poussons le loquet sans façons, et nous voyons, dans une chambrette propre et bien rangée, le jeune bas-bleu assis près de sa table et étudiant sous sa lampe. C’est une jolie petite moricaude fort brunette, aux mains mignonnes, au visage fin et spirituel, avec un foulard mutin sur l’oreille et une simple robe d’indienne bien soigneusement mise. Elle nous reçoit avec de grandes politesses, nous fait des citations de Lamartine et nous parle avec fierté de sa noble famille. Ce n’est pourtant qu’une simple grisette, et même fort délurée. — Pardonnez-moi de vous mener familièrement dans un monde aussi folâtre : c’est la seule société qu’on trouve le soir à Fort-de-France, et je n’ai plus maintenant qu’à vous reconduire au logis.

30 mars, en mer.

Nous sommes allés ce matin nous promener sur la montagne. B…. avait obtenu qu’on lui prêtât des chevaux de l’artillerie, les seuls qu’il y ait à Fort-de-France. Levés avant l’aurore, nous enfourchions de gros bidets campagnards que leurs formes rustiques et trapues nous désignaient pour des compatriotes. Le bateau devait partir à huit heures, et je ne pouvais songer à aller jusqu’aux ravins du Piton ; je pouvais du moins m’avancer jusqu’à moitié route. D’abord nous suivîmes la vallée où la rivière serpente au milieu d’un perpétuel bocage. On y voit quelques cocotiers dispersés dans les vergers au feuillage vigoureux et sombre ; mais les palmiers sont beaucoup plus races que dans l’île de Cuba.

Nous commençâmes bientôt à monter. Il avait plu pendant la nuit, et nous voyions se dessiner la cote et la montagne à travers les douces vapeurs d’une matinée humide : à chaque instant, le ravin devenait plus étroit, plus rapide, la végétation plus fougueuse, l’horizon plus vaste et plus profond. Nous arrivâmes enfin sur une crête où se trouvait une plantation isolée. D’un côté, la baie et la côte opposée, entrevues à nos pieds dans les découpures des ravins touffus, me rappelaient les belles vues des vallées