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an : n’écoutant que l’orgueil traditionnel des cours d’Orient, Tu-Duk repoussa obstinément cette clause, et ne voulut consentir qu’à un paiement à terme, c’est-à-dire à un pur et simple rachat de territoire. Le gouvernement français ne pouvait que refuser ; il le fit, et les mandarins diplomates durent reconnaître que le temps était passé de ces négociations où leur mauvaise foi et leur science des fins de non-recevoir triomphaient si bien de la patience européenne. Le nœud gordien était enfin coupé.

La situation des esprits ne tarda pas à se ressentir du nouvel état de choses, et Saïgon en 1865 offrait un coup d’œil bien différent de celui que nous avons décrit deux ans auparavant, non pas tant, si l’on veut, par l’aspect matériel que par ce que l’on pourrait appeler la physionomie morale de la ville. On sentait que chacun avait recouvré foi en l’avenir. Les projets longtemps mûris et ajournés prenaient corps, les arrangemens de séjour se complétaient, et si la cité nouvelle ne sortait pas de terre tout armée, comme Minerve du cerveau de Jupiter, au moins la voyait-on se développer avec évidence de jour en jour. En cette seule année 1865, le gouvernement y vendit pour 680,000 francs de terrains. Les industries diverses dont avaient été privés les premiers habitans se créaient l’une après l’autre, et remplissaient de leurs annonces la quatrième page du journal de Saïgon. Enfin, symptôme caractéristique et sûr, parmi les arrivans dont se recrutait la petite communauté, on vit alors revenir plusieurs des premiers pionniers de la colonie, désireux de reprendre et de continuer l’œuvre commencée, avec le supplément de ressources qu’ils rapportaient de la métropole. La société européenne se constituait peu à peu : on pouvait voir, aux heures attiédies qui précèdent le coucher du soleil, la campagne autour de Saïgon animée par de nombreux promeneurs à cheval ou en voiture et même par des promeneuses qui devenaient moins rares à chaque nouveau voyage des paquebots. En 1863, le premier mariage européen célébré dans la colonie n’avait pu l’être que grâce à ce que l’épousée était venue de Java ; le mari eût été fort embarrassé à cette époque de trouver femme dans le pays. En 1865 au contraire, bien que les familles se comptassent encore, les quadrilles commençaient pourtant à pouvoir se former aux réceptions du gouverneur, et le soir, en parcourant les paisibles rues de la ville, il n’était point rare d’entendre les sons familiers d’un piano évoquer le souvenir de la patrie absente. Il n’était pas jusqu’aux Annamites qui ne prissent leur part de ce retour général à la confiance, car la plupart de ceux qui habitent Saïgon y sont venus de Tourane sur nos navires, et nous sont restés fidèles depuis le début de la guerre. Plus leurs craintes avaient été