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publique, c’étaient là des symptômes qui passèrent inaperçus en cette heure d’ivresse, mais qui ne tardèrent pas à prendre leur véritable sens. L’unité, forme trop révolutionnaire aux yeux de Frédéric-Guillaume IV, devait s’appuyer sur les institutions du XIIIe siècle pour ne pas effrayer ce mystique songeur. Relisez ses discours, rappelez-vous ses actes, interrogez les polémiques si vives, si curieuses, quelques-unes si éclatantes, auxquelles donna lieu son gouvernement et dont toute l’Allemagne fut le théâtre ; vous retrouverez toujours ce phénomène : ici, les peuples allemands avides d’une existence nouvelle, impatiens de concentrer leur action, impatiens de fournir leur part à l’œuvre commune de la moderne Europe ; là, l’héritier de Frédéric II à qui l’unité allemande n’apparaît que sous la forme d’une monarchie théocratique.

De ces rêves de saint-empire, une secousse terrible le rappela bientôt au sentiment de la réalité. La révolution de février venait d’éclater à Paris ; un même mouvement fait explosion au-delà du Rhin, et de proche en proche soulève les capitales. Comment l’Allemagne, étouffant dans ses liens, n’eût-elle pas saisi cette occasion d’agir ? Puisque la monarchie prussienne manque à sa mission nationale, la nation elle-même, à ses risques et périls, essaiera de se donner les institutions que des millions d’hommes réclament. Trois semaines après, le 17 mars, la révolution est à Berlin. Voyez pourtant les instincts monarchiques de l’Allemagne, et comme le grand intérêt qui domine tous les autres, le besoin de l’unité, modérera les combattans au milieu même des plus violens désordres ; l’émeute est victorieuse dans la capitale de la Prusse, et Frédéric-Guillaume IV n’a point perdu son trône ! Il est vaincu, il est obligé de courber la tête devant l’insurrection ; il n’a pas cessé d’être roi. Est-ce un otage que l’on garde avec défiance, comme la révolution gardait Louis XVI ? Non, c’est l’héritier du grand Frédéric, c’est le dépositaire des destinées de la patrie ; un instinct général avertit les vainqueurs que découronner la Prusse serait découronner l’Allemagne. Quelles que fussent, là comme ailleurs, les passions et les espérances d’une démocratie effrénée, le sentiment national est plus fort. Un mot a suffi pour désarmer les hommes qui viennent de vaincre les troupes royales dans les rues de la ville et qui assiègent déjà la sombre forteresse du palais : « je serai le roi allemand ! » a dit Frédéric-Guillaume IV en saluant les morts tombés sur les barricades.

La fièvre de 1848 a beau suivre son cours, le rôle attribué à la couronne de Prusse par la majorité du libéralisme allemand continue d’occuper les esprits. Au milieu des alternatives de la lutte, au milieu des entreprises de la démocratie et des résistances du