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Est-ce assez d’humiliations pour cette Prusse que ses traditions, son génie et l’enthousiasme de 1848 avaient failli porter si haut ? Elle est réservée encore à de plus dures épreuves. Quelques mois après, une affaire qui intéressait toute l’Allemagne, la lutte de l’électeur de Hesse avec la loyale population de ses états, exige l’intervention du pouvoir fédéral. La Prusse voudrait défendre le droit violé par l’électeur ; l’Autriche soutient le parti contraire, ne cherchant là qu’une occasion de montrer à tous l’impuissance de son ennemie. La diète reconstituée par M. de Schwarzenberg charge l’Autriche, et l’Autriche toute seule, de soumettre les Hessois. Vainement la Prusse réclame sa part d’action, vainement elle veut s’associer à l’Autriche et régler de concert avec elle ce conflit déplorable ; le prince de Schwarzenberg est inflexible, il est heureux d’humilier aux yeux de l’Allemagne et de l’Europe ceux qui ont failli recevoir l’empire des mains de la révolution. Comment peindre à ce moment l’indignation de la Prusse ? M. de Radowitz comprend qu’une plus longue patience est impossible ; il convoque la landwehr, et un cri d’enthousiasme lui répond : Guerre à l’Autriche ! c’est le vœu de la Prusse, c’est le salut de l’Allemagne. — La guerre n’eut pas lieu, l’épée de la Prusse fut remise dans le fourreau ; la situation de l’Europe, la crainte d’une conflagration générale, la crainte de la révolution toujours menaçante, l’intervention de la diplomatie, le caractère pacifique de Frédéric-Guillaume IV, surtout l’attitude inébranlable du prince de Schwarzenberg, firent prévaloir d’autres conseils. M. de Radowitz quitta le ministère, et la Prusse entra dans ce long recueillement d’où elle n’est sortie qu’après la mort de Frédéric-Guillaume IV, après la mort du prince de Schwarzenberg, avec un Radowitz bien autrement énergique et hardi qui se nomme M. de Bismark.

Nous sommes trop portés à oublier ces épisodes ; l’histoire contemporaine est celle que nous connaissons, le moins. Nos propres affaires à cette date, nos difficultés et nos périls attiraient notre attention d’un autre côté. Tout cela se passait à la fin de 1850 et dans la première moitié de l’année suivante. Il importe de s’élever au-dessus des mille détails des annales courantes, si l’on veut saisir l’enchaînement des faits. Je ne saurais douter, pour ma part, que les événemens extraordinaires dont nous sommes témoins n’aient leur origine dans les luttes que je viens de rappeler. Croit-on que ces douloureuses épreuves, succédant à des espérances si belles, n’aient pas profité à la Prusse ? Croit-on que l’arrogance de l’Autriche n’ait pas donné à la Prusse de nouveaux partisans dans les états secondaires, en même temps qu’elle l’empêchait de s’endormir et l’excitait à des revanches décisives ? Ne sont-ce