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de ces grands jours. Étrange contraste, les écrivains libéraux de l’Allemagne (je trouve ce symptôme dans tous les manifestes que j’ai sous les yeux) sont obligés pour justifier la politique prussienne de jeter l’injure aux populations des petits états ! A les entendre, tout esprit public, tout sentiment national serait mort chez ces tristes ilotes, et c’est nous qui disons aux représentans de l’esprit prussien : Ne méprisez pas ces élémens de vie avec lesquels vous avez à organiser l’Allemagne future. — Les écrivains dont je parle font fausse route ; ils essaient de justifier ce qu’ils devraient condamner, ils travaillent pour le parti de la croix, qui est et restera leur implacable ennemi. Pourquoi refuseraient-ils d’entendre de notre part un avertissement fraternel ? Notre seul intérêt en ces affaires, c’est le désir de pouvoir défendre sans scrupules des événemens qui nous paraissent conformes au bien général. Soldats du droit, nous nous sentons atteints, lorsque nous voyons une des légitimes révolutions du monde moderne accaparée par l’esprit théocratique.

Si le respect du droit nouveau est le devoir manifeste de la Prusse victorieuse au nom de ce droit, il est d’autres devoirs qui dépendent de cette obligation principale et qu’il suffit de résumer en peu de mots : devoirs particuliers envers l’Allemagne, devoirs envers la société européenne, enfin, pourquoi ne pas le dire ? devoirs envers la France, qui la première a proclamé le droit des nations, et qui, dans ses rapports avec la Prusse, lui a rendu par sa neutralité un nouvel hommage.

Les devoirs de la Prusse envers l’Allemagne peuvent être définis d’une manière précise : il faut que, sans rien perdre de ce qui a fait sa force morale, elle disparaisse au sein de l’Allemagne nouvelle. Que ce mot ne paraisse pas trop fort, l’union de l’avenir est à ce prix. On ne demande pas au génie prussien de s’effacer, on lui demande de se transformer. On ne veut pas qu’il cesse d’être et d’agir, on veut qu’il acquière une existence plus haute, une action plus large et plus harmonieuse. Il y a quelque chose d’exclusif dans le caractère prussien. Issu de la réforme et façonné pour la lutte, ce peuple a gardé tous les avantages de son origine, la moralité forte, l’amour du travail, le goût de l’instruction, le sentiment du devoir ; il en a gardé aussi les inconvéniens, une sorte d’âpreté hautaine, de puritanisme dédaigneux et farouche. On peut dire de lui ce que Bourdaloue disait des controversistes protestans du XVIIe siècle : ils ont eu tous les mérites de l’esprit autant et quelquefois plus que les nôtres, science, éloquence, dialectique ; ils n’ont pas eu l’humilité. Quoi de plus naturel ? les minorités sont toujours sur le qui-vive ; il faut qu’elles aient conscience de leur force, qu’elles soient constamment prêtes à s’affirmer elles-mêmes. Dans le vieil empire