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est l’idéal des Américains qui ont véritablement à cœur la prospérité de leur patrie, et la masse même du peuple commence à partager ces vœux de fédération. Déjà de nombreuses tentatives ont été faites dans ce sens et plusieurs ont partiellement abouti. Aujourd’hui même une ligue offensive et défensive unit quatre des plus puissantes républiques de l’Amérique espagnole, ayant ensemble près de 8 millions d’habitans et de grandes ressources navales et financières. Que cette ligue soit destinée à devenir le noyau d’une fédération hispano-américaine ou qu’elle disparaisse pour faire place à d’autres combinaisons, il est certain que l’union de plusieurs peuples au nom de la liberté commune aura les conséquences les plus heureuses pour l’avenir de tous les états du continent colombien. Afin d’apprécier à sa juste valeur un fait historique d’une telle importance et de se rendre compte des changemens d’équilibre qui peuvent en résulter, il importe donc de connaître les projets d’union qui ont été formés à une époque antérieure et les commencemens d’exécution qu’ils ont reçus. C’est là une étude que facilite singulièrement l’ouvrage complet et accompagné de documens officiels que M. Torres Caicedo a publié récemment sur cette question.


I

Avant même qu’un seul homme d’état eût formulé la théorie de la ligue américaine, elle était déjà mise temporairement en pratique, puisque, du plateau de l’Anahuac aux rives de la Plata, les insurgés combattaient le même ennemi, et que même, en de nombreuses batailles, les pâtres argentins avaient pour compagnons d’armes les montagnards du Venezuela et de la Nouvelle-Grenade. La lutte contre l’adversaire commun avait uni tous les créoles américains dans une même armée. Pendant quelques années, les hommes qui s’étaient mis à la tête du mouvement purent croire que les diverses provinces de l’Amérique du Sud se constitueraient en une vaste confédération, et que l’ancienne unité, existant au profit du despotisme espagnol, se rétablirait entre peuples libres au profit de la grandeur nationale. Ils espéraient que la fraternité d’armes victorieusement affirmée sur les champs de bataille pourrait être transformée en une solide union des peuples eux-mêmes. Dès l’année 1822, au plus fort de la guerre contre l’Espagne, le libérateur Bolivar invita formellement les gouvernemens du Mexique, du Chili, du Pérou et de Buenos-Ayres à se grouper en confédération et à procéder immédiatement à la convocation d’une assemblée ayant pour mission d’établir une ligue permanente entre les peuples affranchis. En réponse à cet appel, la Colombie, le Pérou et