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suffirent d’ailleurs pour lui rendre insupportables, succédant, à la liberté du vagabondage, la règle austère, le travail régulier, la routine monotone auxquels il fallait se soumettre ; mais plus excédans encore lui semblaient les propos à peu près ininterrompus de sa compagne, qui ne dormait guère, et durant une partie de la nuit la forçait d’écouter ses interminables commérages, mêlés çà et là de funestes conseils. Pas un personnage suspect, à Glasgow, dont Harber ne pût donner la biographie complète. Elle connaissait Cannie Jock et le frère de Cannie Jock, transporté depuis plusieurs années. Il ne fallait pas, selon elle, se risquer avec un écervelé de ce genre. Elle parlait de la mère de Jane comme d’une pauvre folle adonnée au whiskey, et de son père comme d’un gaillard retors qui ne faisait jamais de vieux os dans le même endroit. A Jane elle-même elle promettait monts et merveilles, si, une fois libérées, elles mettaient en commun l’une sa jeunesse, l’autre son expérience. Ces propositions n’avaient rien de très séduisant pour la pauvre enfant affamée de sommeil qui l’écoutait bouche béante et les yeux mi-clos ; en revanche elle goûtait assez, dans les propos de Harber, ceux qui la réconciliaient avec elle-même en lui montrant sa position actuelle comme le résultat d’une fatalité inexorable. Née, élevée comme elle l’avait été, soumise aux mêmes tentations, quelle jeune fille à sa place n’aurait pas succombé ? Quant aux menaces du chapelain, quant à ces châtimens éternels dont il exploitait la terreur, il ne fallait pas s’en préoccuper. Rien de tout cela n’était vrai, ni la Bible ni le reste. — Et d’ailleurs ne faut-il pas vivre ? ajoutait Harber ; si ceux qui nous voient mourir de faim ne nous viennent pas en aide, doivent-ils s’étonner qu’on cherche à se tirer d’affaire ? Qu’on me donne des rentes, je serai vertueuse, et j’irai au prêche tous les dimanches ; mais, si je suis réduite à mourir de faim ou à voler, certes j’opterai pour le vol…

Ainsi se passèrent ces vingt jours, durant lesquels toute influence réformatrice avait été paralysée, et qui, laissant au cœur de Jane un vague effroi, n’y avaient déposé aucun germe de bonnes résolutions. Des promesses, elle en avait fait, et beaucoup ; mais elle ne songeait guère à les accomplir, lorsqu’une fois hors de prison elle s’achemina tout droit chez les Loggie. Un bon accueil l’y attendait avec cent questions sur la vie qu’elle avait menée dans la geôle de Glasgow. On lui demanda aussi des nouvelles de Mary ; mais les deux prisonnières ne s’étaient pas vues une seule fois. Jane, à son tour, désira savoir ce qu’était devenu Jock Ewan ; personne n’en savait rien, et nul ne s’inquiétait du personnage. « Il n’est pas des nôtres, disait le vieux Loggie. Il croit en savoir plus long que nous. Vous feriez mieux de saisir cette occasion pour régler son