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abord. Non-seulement les ancêtres européens des Américains du nord et des Colombiens du sud étaient de souches distinctes, mais encore les contrastes se sont accrus par le croisement des colons espagnols avec les Indiens et les nègres. Tant que les fiers Anglo-Saxons refuseront de s’allier avec ces races méprisées, tant que le peau-rouge ne sera qu’un triste fugitif dans les prairies de l’ouest, tant que le noir ne sera qu’un affranchi auquel on contestera même ses titres à la liberté civile, le Mexicain, descendant des Aztèques, et le Cubanais, petit-fils du Mandingue ou du Malgache, éprouveront une répugnance instinctive bien naturelle à faire partie de la même confédération que les blancs orgueilleux de l’Union américaine. Avant que les populations des États-Unis songent à l’annexion des républiques ou des colonies espagnoles, il faut qu’ils s’assimilent les 4 ou 5 millions d’hommes de couleur qui se trouvent déjà sur leur territoire. Il existe encore dans l’Union un parti très considérable pour lequel l’incapacité politique et morale du nègre est une sorte de dogme, et qui professe que cet être inférieur est destiné à disparaître bientôt devant le Caucasien. On comprend que les métis et les mulâtres des républiques du sud tiennent peu à se laisser conquérir ou absorber par un grand peuple chez lequel 8e pareils principes sont le programme de tout un parti.

D’ailleurs l’appui que les États-Unis ont donné aux républiques espagnoles menacées dans leur existence n’a point été tellement efficace que celles-ci soient tenues à une gratitude bien profonde. Dans les commencemens de la guerre de l’Uruguay, le cabinet de Washington semble avoir fait, il est vrai, quelques représentations amicales aux gouvernemens de Rio de Janeiro et de Buenos-Ayres pour les détourner d’une politique contraire à ses intérêts dans les régions de la Plata, il a même refusé de donner l’exéquatur au consul nommé par le général Florès, parce qu’il ne voit pas dans ce président à la solde du Brésil un élu du suffrage populaire ; mais en d’autres circonstances MM. Johnson et Seward ont tenu à dessein un langage tellement ambigu qu’on ne peut savoir, à vrai dire, quel en est le véritable sens, et que les Brésiliens comme les Paraguayens y ont vu l’approbation de leur politique. A Santiago et à Lima, la diplomatie des États-Unis a été plus nette et plus américaine en apparence ; mais tandis que le général Kilpatrick prenait une attitude presque hostile à l’Espagne, M. Seward de son côté rassurait cette puissance, et déclarait, dit-on, que la doctrine de Monroe est dirigée seulement contre deux puissances de l’Europe, la France et l’Angleterre. Lors du bombardement de Valparaiso, le commodore Rodgers donna en langage vulgaire, mais expressif, la raison qui l’empêchait de s’opposer par la force à l’acte barbare commis par l’amiral Nuñez. « Je ne voulais pas, dit-il en faisant