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distingue, ils ont vu que dans la fleur en apparence la plus chiffonnée il y a une régularité parfaite et la même raison géométrique qui préside à toutes les créations de l’univers. C’est ainsi qu’ils ont su rendre architecturales toutes ces fleurs qui courent si bien sur leurs étoffes, leurs faïences, leurs manuscrits, leurs armes, leurs laques, et gardent le caractère de fleur tout en devenant arabesque. Les plantes aplaties d’un herbier peuvent donner une juste idée de cet aspect. C’est en cela que les Persans diffèrent essentiellement des Chinois, des Japonais, des Égyptiens, des Grecs et des Romains, qui représentent les fleurs, les oiseaux, les papillons, tels qu’ils sont réellement, sans les soumettre à la règle architecturale.

Il n’est pas douteux pour nous que cet art suprême de l’arabesque et cette géométrie stalactiforme ne soient dus à la Perse, qui en a le génie. Ce qui reste encore des monumens des époques arsacide et sassanide le prouve surabondamment. Un palais aux environs de Firouz-Abad, dans un état de conservation si parfait qu’on peut aisément se faire une juste idée de l’importance et du caractère de cette construction, nous montre dans de belles salles à coupoles ovoïdes les petites voûtes en encorbellement, les triangles prismatiques formés de placages exécutés en plâtre, comme on les fait encore aujourd’hui en Perse. Ces ornemens, qui semblent éphémères, présentent des conditions de solidité remarquables, puisqu’ils ont au moins quatorze siècles d’existence. Ce palais de Firouz a, dans des proportions moindres, l’aspect intérieur de Sainte-Sophie, et prouve quel était le style architectural de ces villes nombreuses qui ont succédé aux cités bibliques. C’était bien là ce style qui a pris le nom de byzantin. En étudiant la marche suivie par l’art chez les anciens Perses et, chez les Arabes, on ne peut apercevoir dans les monumens aucune trace de ces tâtonnemens, de ces essais qui d’ordinaire accompagnent les premiers pas d’un style nouveau, et qu’il est aisé de retrouver dans l’art grec ou romain. D’où cela vient-il ? comment expliquer cette marche si franche, si hardie ? On se l’explique sans peine quand on examine le palais de Firouz : cette marche n’a jamais été interrompue, elle s’est continuée malgré l’écroulement des empires. Sans doute les palais et les temples de Ctésiphon, d’Ecbatane et de Madaïn ne ressemblaient plus absolument à ceux de Babylone et de Ninive ; mais l’art, modifié sans secousse, n’en avait pas moins hérité des mêmes principes et de toute la science des ancêtres. De même que bien des matériaux anciens servaient aux constructions nouvelles, de même les secrets des corps de métier, si puissamment organisés dans ce pays, s’étaient conservés intacts, et nous sommes convaincu qu’entre les dômes de Babylone et ceux de