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résulte empêche toute satiété. C’est là, selon nous, le beau pittoresque par excellence et la plus haute expression de l’art. On redoute tellement l’uniformité, que pour couper les lignes d’un monument, pour en varier les tons et produire des effets d’ombre et de lumière, on plante irrégulièrement une belle masse de verdure qui, en mariant la nature et l’art, ajoute un charme imprévu et plein de contraste au travail régulier des hommes. Ce minaret élancé, à côté d’une large coupole, ne semble-t-il pas imité du cyprès ou du palmier qui se dresse au-dessus de la tête arrondie des sycomores ?

En Orient, on a toujours compris que l’architecture d’un monument, en tant que masse, en tant que maçonnerie, doit être d’une extrême simplicité. Que l’ensemble soit bien assis, bien placé afin de dominer ce qui l’entoure, que les proportions soient justes et élégantes, voilà ce qu’on recherche d’abord. Quant au caractère individuel de l’édifice, ce sont les décorations, les couronnemens, les coupoles, la richesse et la beauté des frises et des cordons, enfin les encadremens et les arcs des portes ou des fenêtres, qui le lui donneront. Jamais on n’a eu dans ce pays ces temps d’arrêt, ces variations de goût, ce manque de foi dans les règles et les procédés, qui ont étouffé en Europe la liberté de l’imagination, la liberté surtout de l’instinct, ce précieux conducteur des vrais artistes. L’inspiration personnelle n’eut jamais à lutter contre le règne du calcul et l’esprit de système. Ici on ne trouve rien d’absolu, rien d’invariable comme dans cette architecture de la renaissance avec ses cinq ordres, ses corniches et ses pilastres qui tous se ressemblent, enfin ce qu’on appelle complaisamment « l’irréprochable pureté du goût classique. » Ce qui frappe au milieu de cette simplicité des plans, c’est la grandeur de l’élan, l’absence complète de toute préoccupation de construire d’après un type consacré. Dès qu’on regarde comme une nécessité, si on bâtit un théâtre par exemple, de le faire ressembler autant que possible à un temple grec, il n’y a plus d’indépendance d’esprit, plus de sincérité, et le seul souci qu’on puisse avoir, c’est de vaincre les difficultés que présente la différence d’appropriation entre le monument ancien et le théâtre moderne dont jadis il n’y a pas eu d’exemple. L’architecte oriental au contraire, dégagé de tout instinct d’imitation factice, part du principe primordial le plus simple, de la destination naturelle de la construction.

Pour résumer enfin notre définition de l’architecture orientale, qu’elle s’applique à un temple, à un tombeau ou à un palais, nous dirons qu’il faut se représenter un carré plus ou moins allongé, ou, pour mieux faire comprendre notre pensée, une cage d’oiseau dont les montans sont les piliers de soutènement, l’arcature en un mot.