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mettraient les entrepreneurs. Pour les parties coalisées, le profit est évident : les ouvriers anglais y gagneraient d’être délivrés de leur dernier souci, ceux du continent de voir leurs salaires se mettre forcément de niveau avec les salaires anglais, aujourd’hui très supérieurs. Certes, tout exorbitante qu’elle fût, la proposition était bien liée ; on y sentait le nerf de la main anglaise. Rien de vague ni de flottant, mais un acte déterminé, un but à atteindre au moyen d’un instrument spécial et une rude enseigne, la grève universelle.

Comment les délégués français ont-ils répondu à cette ouverture ? Par des généralités d’abord, puis par une idée fixe et une hypothèse. Que nos ouvriers eussent repoussé ce projet de grèves monstrueuses comme incompatible avec les lois de police et l’état des mœurs du continent, rien de mieux ; mais ce mode d’éviction eût été, paraît-il, trop simple : pour éblouir et battre les Anglais, il fallait employer des argumens plus relevés. Nos ouvriers n’y ont pas manqué. Une grève, dirent-ils, une grève universelle, à quoi bon ? Il y a mieux à faire. Où aboutit une grève, si heureuse qu’on la suppose ? A une chétive augmentation du taux des salaires, effort en pure perte, puisqu’avant peu le salaire disparaîtra, cédant la place à une plus juste distribution des tâches et des profits. Comment ? Par le triomphe d’un régime de coopération qui doit inaugurer l’âge de maturité du travail, tandis que le salaire et les grèves n’en sont que l’enfance ! Se laisser distraire par un petit enjeu comme les grèves d’un coup de partie comme le mouvement coopératif, ce serait quitter la proie pour l’ombre. Tel fut le dernier mot de nos ouvriers, et ils n’en voulurent rien rabattre : la coopération avant tout et à outrance ! De leur côté, les Anglais ne cédèrent pas sans protester. Ils avaient pris goût à la perspective de cette immense grève, où ils auraient tenu les fils des ateliers du continent pour les faire mouvoir à leur gré ; ils revinrent donc à la charge, mais sans plus de succès. Cet incident refroidit visiblement les rapports entre les membres du congrès ; deux camps s’y formèrent, chacun avec son idée favorite : d’une part le perfectionnement des grèves pour aboutir à la hausse des salaires, d’autre part le développement des sociétés coopératives pour amener la suppression des salaires, comme entachés d’indignité.

Ce n’est pas que les délégués anglais entendissent contester les avantages de la coopération, dont autour d’eux on paraissait si engoué. L’idée et le mot appartiennent à leur pays, où ont eu lieu les premiers, les plus solides essais. Ils étaient donc, ne fût-ce que par patriotisme, partisans du système coopératif à un degré très marqué ; ils admettaient les trois modes qu’il comporte, sociétés de crédit, de consommation, de production, constituées, gérées par les