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nation qui secoue un joug séculaire, et devenir la vivante expression du droit nouveau des peuples. Et, nous le répétons, en associant ainsi sa cause à la cause populaire, elle n’a rien perdu du prestige qui l’environnait autrefois : pendant que le culte monarchique va s’affaiblissant, pendant que notre siècle démocratique court à d’autres dieux, elle a le singulier privilège de retenir la faveur de l’opinion, et cela chez la nation la plus rebelle jusqu’alors au principe de la monarchie, dans un pays que l’histoire, la géographie et les mœurs semblaient vouer sans retour au fractionnement fédératif, et dont toutes les gloires depuis douze siècles étaient des gloires municipales et républicaines.

En présence d’une fortune royale aussi étonnante, c’est une curiosité naturelle d’en rechercher les causes et d’en considérer les progrès. Plus la maison de Savoie est ancienne, plus on désire connaître d’où elle vient, comment elle a grandi, quelles situations diverses elle a traversées, et par quelle vitalité secrète elle a pu survivre aux événemens où tant d’autres dynasties ont péri. Sa grandeur, sa vigueur, sa popularité actuelle, sollicitent la pensée comme la vue d’un grand fleuve à son embouchure dans la mer invite l’explorateur à en remonter le cours. Une vieille ballade allemande décrit poétiquement la joie ignorante et superbe de l’enfant de la montagne buvant à la source inconnue et enjambant le petit cours d’eau qui abreuve plus loin les cités populeuses et porte les grands navires. Il nous semble qu’on peut ressentir un plaisir analogue à considérer dans son humble origine cette antique et glorieuse maison, et qu’on aime à voir pour ainsi dire jaillir du sol le fleuve imposant qui porte aujourd’hui les destinées de l’Italie nouvelle.


I

Le versant occidental des Alpes a été le premier et pendant bien des siècles l’unique théâtre de son activité. Partie de la gorge profonde de la Maurienne, où tous les historiens placent son berceau, elle descend des montagnes avec l’Isère et le Rhône jusqu’à Vienne et à Lyon, pénètre au cœur de l’Helvétie jusqu’à Fribourg et à Berne, et ne s’arrête que devant la puissance grandissante de la monarchie française et des cantons suisses ; elle embrasse ainsi dans sa première évolution le grand arc de cercle que décrivent les Alpes pennines, grecques et cottiennes, et dont la corde est formée par la ligne du Jura et la Saône inférieure. Elle a glissé du haut de ces sommets sur un fond de population d’origine celtique, fortement mélangée au commencement du Ve siècle avec une race germanique distincte et ennemie de la race franque, avec les Burgondes.