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cultures en forêts ; les bestiaux diminuaient, les hommes mouraient, et l’on n’en payait pas moins pour les morts. » De vastes étendues de territoires avaient été dévolues au fisc par l’impossibilité où le propriétaire était réduit de payer l’impôt. Ce sont ces propriétés fiscales, situées principalement dans la région montagneuse, qui furent attribuées aux nouveau-venus par les autorités municipales, les seules restées debout au milieu de la dissolution de l’empire. Les Burgondes respectèrent les conventions de partage, vivant en bonne intelligence avec les indigènes, et les traitant, au témoignage d’un contemporain, Paul Orose, « non en sujets, mais presque en frères chrétiens. » Ils choisirent de préférence les lieux élevés, les hautes vallées, pour s’y livrer à leurs goûts modestes, abandonnant à la population gallo-romaine les plus belles terres des plaines. Cette distribution primitive a laissé des traces encore reconnaissables aux caractères extérieurs des populations qui habitent les hautes vallées ; leur physionomie rappelle tous les traits que l’histoire prête aux Burgondes, leur taille élevée (Sidoine Apollinaire, qui exagère probablement, les appelle septipedes), leurs yeux bleus, leurs longs cheveux blonds, leur humeur facile, joviale, un peu bruyante, leur parler à plein gosier[1] ; elle rappelle aussi leur caractère inoffensif et respectueux qui les portait à admirer naïvement les merveilles laissées par la civilisation romaine, et leur inspirait, au lieu d’une jalousie trop commune pour les grandes existences locales, un goût prononcé pour la société et l’amitié des comtes gallo-romains.

Ce peuple singulier fonda ce qu’on appelle le premier royaume de Bourgogne, qui fut détruit en 534 par les Francs. Les causes de cette grande ruine ont été expliquées dans un écrit récent de M. B. Hauréau[2]. Il avait reçu le christianisme de la main de missionnaires inconnus qui niaient la divinité du Fils et du Saint-Esprit : il était donc arien en arrivant dans sa terre promise, mais, tolérant par tempérament, ami de la paix, d’un esprit peu ouvert aux spéculations théologiques, il ne prétendit point imposer ses croyances aux populations qui suivaient déjà une autre forme du christianisme, et proclama l’égalité du catholicisme et de l’arianisme, rare exemple de modération que n’imitèrent point les Francs. Ceux-ci, arrivés païens dans la Gaule, s’emparèrent de la forme catholique, dont la forte hiérarchie avait séduit leur esprit

  1. Cette habitude des Burgondes de parler à pleine voix les a fait appeler du nom singulier de gourgouillons par un écrivain du moyen âge. Burgundiones eos quasi Gurguliones appello quod ob superbiam toto gutture loquantur. (Luitprandi, Chron., lib. III, cap. 12.)
  2. L’Église et l’État sous les premiers rois de Bourgogne.