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Son successeur Édouard le Libéral fut moins désintéressé. En 1322, une insurrection éclata, plus formidable que les premières. Les paysans de la rive gauche de l’Arc, se prétendant sujets du comte, attaquèrent l’évêque Aymon de Miolans dans son château d’Arves, et massacrèrent ses serviteurs sous ses yeux. Lui-même, échappé par miracle à la fureur populaire, chassé de son siège épiscopal de Saint-Jean-de-Maurienne, courut chercher un asile sur les terres d’Édouard, à Aiguebelle, sous la protection du fort de Charbonnières. Alors intervint entre le comte et lui une convention portant le titre de Contrat d’association du seigneur évêque de Maurienne et du seigneur comte de Savoie[1], qui pourrait encore servir de modèle aujourd’hui. Par cette convention, le comte est associé à l’administration temporelle de l’évêque à la condition que le premier rétablira et maintiendra l’ordre dans le patrimoine. Une fois entrés en partage, le comte et ses successeurs n’ont montré aucune hâte de déposséder l’évêque. L’association a duré jusqu’à la création du sénat, pouvoir animé d’un esprit nouveau, qui apportait dans ses rapports avec l’église un peu de l’humeur querelleuse des parlemens français. Entre la compagnie gardienne des droits de la puissance civile et les évêques de Maurienne, la lutte commença bientôt, soutenue d’un côté par des monitoires et des excommunications et de l’autre par des arrêts d’appel comme d’abus et de réduction de temporel, — lutte curieuse, souvent très vive, dont les incidens et les péripéties, racontés par un historien du sénat[2], ont semé d’incidens variés la chronique locale jusqu’à la veille de la grande révolution, qui a mis fin au débat. Alors est intervenue une nouvelle convention qui a délivré pour toujours l’évêque des soucis de l’empire en lui accordant un salaire annuel avec le titre pompeux de prince d’Aiguebelle.

Dans leurs luttes avec les évêques, les princes de Savoie séparent toujours le pouvoir temporel du pouvoir spirituel, fermes devant le premier et cherchant à le réduire par tous les moyens pacifiques, toujours respectueux devant le second, dévots à l’excès, d’une soumission si exemplaire et d’une attitude si humble qu’elle semblerait trahir chez quelques-uns d’entre eux une certaine faiblesse d’esprit. Les feuilles publiques de l’Italie ont rapporté naguère le trait de dévotion de Victor-Emmanuel arrêtant sa voiture dans une rue de Turin et se mettant humblement à genoux sur le marchepied pendant que passait un prêtre portant l’eucharistie. L’attitude du roi d’Italie en cette circonstance est l’exacte représentation de celle de ses ancêtres devant le pouvoir spirituel. Il n’est

  1. Mémoires et Documens de la Société d’histoire de la Savoie, t. VII.
  2. Histoire du Sénat de Savoie, par E. Burnier ; Chambéry 1865.