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il s’en retira par une brusque volte-face, tendit la main au vaincu, Philippe-Marie Visconti, s’allia avec lui par le traité de Turin de 1427, et lui donna sa fille Marie en mariage. Les filles de Savoie, sages et réservées, n’ayant rien des passions et des goûts des tyrans italiens du XVe siècle, n’étaient pas faites pour de telles unions. Celle-ci fut malheureuse ; la princesse vécut séparée de son indigne mari, qui lui préféra la belle Agnès de Maino, et en fit effrontément associer le nom au sien dans les prières publiques du clergé lombard ; mais les malheurs de la princesse la rendirent intéressante aux yeux du peuple de Milan, qui détestait la tyrannie du Visconti[1], et l’ascendant qu’elle sut prendre sur les esprits servit merveilleusement les projets de son frère, le duc Louis II, sur le Milanais.

Dans la ligue formée par Amédée VIII contre les Visconti avait figuré un soldat d’aventure nommé Francesco Sforza, qui prit goût à cette guerre, la continua pour son propre compte, et finit par s’emparer de toute la Lombardie à l’exception de la capitale, qui se constitua en république. Le dernier Visconti mourut en luttant contre l’usurpateur. Sa veuve se servit alors de l’influence qu’elle avait acquise sur le peuple pour amener la république à signer le traité du 8 mars 1449, par lequel la Lombardie en-deçà du Tessin était cédée au duc de Savoie, et lui-même élu protecteur de Milan. Toutefois sa dynastie ne devait pas atteindre de si tôt à cet objet de son ambition. La guerre de Louis II contre Sforza, conduite sans vigueur, ne fut qu’une série de désastres malgré les conseils d’Amédée VIII, qui, devenu pape, n’oubliait point sous la tiare le danger pressant de son fils. De Genève, de Bâle et de Lausanne, où il promenait sa papauté contestée, il presse l’armement des milices vaudoises et savoisiennes, il excite, il aiguillonne son fils, il l’exhorte à quitter ses frivoles amusemens, à réduire ses dépenses personnelles, à engager même les joyaux de la couronne pour soutenir la guerre ; il l’autorise, en sa qualité de pape, à lever des impôts sur les gens d’église et à contracter des emprunts dont il se porte caution. Sa correspondance, publiée pour la première fois en 1851[2], donne une haute idée de l’expérience qu’il avait acquise en France. Il donne à son fils un conseil qui a été bien utile à sa maison quand elle l’a suivi avec discernement, c’est de tenir grand compte des prétentions françaises en Italie. Le duché de Milan

  1. « Mulier perfecta, pudica et proba, et moribus modestissimis, ob idque reipublicœ mediolanensi non cara modo, sed etiam venerabilis. » Storia di Milano, lib. XVII, Simonetta.
  2. Correspondance du pape Félix V et de son fils Louis, duc de Savoie, au sujet de la ligue de Milan, publiée d’après des documens inédits, par M. E. Gaullieur, Zurich 1851.