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protestans, et de l’autre Lesdiguières, le héros du protestantisme du sud-est de la France, arrêtaient court la formation du royaume rêvé. Quoi de plus naturel que d’embrasser la réforme pour transformer l’ennemi en auxiliaire ? Le principe religieux dominait alors la politique : nul doute que la réformation tout entière, en France et au dehors, n’eût salué d’un cri de joie et n’eût appuyé de toutes ses forces ce nouveau pouvoir ami descendant des Alpes sur les provinces françaises, dont quelques-unes lui avaient jadis appartenu. Si cette révolution se fût accomplie, la Suisse française rentrait dans le sein de la monarchie devenue la protectrice des évangéliques, et les huguenots français, placés entre le sentiment de la patrie et celui de leur propre conservation, entre la révolte et l’extermination, auraient tendu la main au nouveau pouvoir, comme ils la tendaient à l’Angleterre et aux princes protestans de l’Allemagne. A l’intérieur, particulièrement en Savoie, l’esprit catholique des habitans n’aurait pas tenu devant le sentiment national qui ramenait la monarchie en-deçà des Alpes. Des populations nombreuses déjà passées à la réforme, le Chablais et une partie du Faucigny, et ces énergiques Vaudois des Alpes qui faisaient toute la force de Lesdiguières, auraient servi de point d’appui à ce mouvement religieux et politique.

Cette idée assez étrange au premier aspect d’un royaume allobroge et les phases qu’elle a traversées ne sont pas sans quelque analogie avec l’évolution de l’idée italienne qui s’accomplit sous nos yeux. Il est aussi en Italie des esprits qui, justement irrités des obstacles religieux qui s’opposent à l’achèvement de l’unité, ne reculent pas, dans leur impatience, devant la pensée de s’en débarrasser par une rupture avec Rome. Les élémens d’une solution de ce genre sont plus nombreux qu’on ne le pense parmi nous. Rien de moins papiste au fond que le génie italien. Une longue malédiction contre Rome retentit dans les écrits de ses plus grands écrivains. Pétrarque appelle sur elle le feu du ciel dans ce fameux sonnet qui se chante encore dans les cercles littéraires, fiamma del ciel sulle tue treccie piova. Le Dante a mis des papes dans le dernier cercle de son enfer. Guicciardini les accuse d’avoir fait de l’Italie la plus impie des nations catholiques par les corruptions dont ils lui ont donné le spectacle pendant plusieurs siècles. Machiavel leur reproche d’avoir livré la nation à l’étranger en empêchant la formation d’un pouvoir national capable de résister à l’invasion. La politique des gouvermens italiens ne s’est pas montrée plus respectueuse que la pensée des écrivains et des poètes. Dès qu’un gouvernement quelconque, république ou monarchie, a pu prendre pied sur ce sol, il s’est mis en lutte avec Rome, et il l’a traitée plus cavalièrement que ne l’ont