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succès au commerce et à l’agriculture ; ils cultivaient surtout le riz et la canne à sucre, ils recevaient des jonques, ils en affrétaient ; mais cette prospérité éveilla la jalousie du laborieux Hollandais, de même qu’elle avait éveillé à Luçon celle de l’indolent Espagnol. Tous les moyens furent mis en œuvre pour dégoûter les émigrans du séjour de la colonie : on les accabla d’impôts et de vexations, leurs moindres offenses furent châtiées de peines arbitraires, un simple soupçon les envoyait à la geôle, et ceux qui ne pouvaient justifier de moyens d’existence étaient renvoyés en Chine. Une première révolte fut, en 1660, le résultat de ce système. Plus tard, en 1723, on essaya d’un décret d’exclusion. Enfin la situation devint si tendue qu’une crise formidable éclata en 1737. Le gouverneur Valckenier, à qui les colons reprochaient d’avoir provoqué l’insurrection par la faiblesse de sa conduite, voulut se réhabiliter en proposant d’égorger tous les Chinois ; l’exécution de 1603 à Manille trouva ici son pendant. On réclama l’aide des marins de la rade, et pendant quinze jours des hordes sans pitié parcoururent la ville, arrachant les victimes de leurs demeures pour les mettre à mort devant leurs portes. On en compta dix mille ; les rues regorgeaient de cadavres. Ce massacre fut l’origine d’une guerre à laquelle prirent part les indigènes, où les atrocités furent réciproques, et qui ne se termina qu’en 1742. La métropole d’ailleurs ne s’était pas contentée de blâmer Valckenier, elle l’avait emprisonné et remplacé dans le gouvernement de la colonie.

Ces souvenirs néfastes sont oubliés. Traités avec humanité et même presque sur un pied d’égalité par les Hollandais, les Chinois sont aujourd’hui plus de 110,000 dans l’île, dont 35,000 à Batavia. Ils n’y apportent d’autre capital que leurs bras, la plupart d’entre eux n’ont même pas payé le prix de leur passage, qui est de 12 ou 15 piastres ; mais l’avance en est alors faite par des compatriotes qu’ils remboursent avec leur travail. Dans les villes, toutes les professions industrielles sont leur partage il l’exclusion presque complète des indigènes. Leur supériorité comme agriculteurs n’est pas moins manifeste dans les campagnes, et ce sont eux qui font valoir presque toutes les plantations de cannes, ainsi que les moulins à sucre. Comme marchands enfin, ils sont ingénieux, rangés, économes, persévérans, et il n’est si petit débitant dont les livres ne soient un modèle de tenue exacte et régulière. Le quartier chinois ou campong de Batavia touche à la vieille ville, depuis longtemps abandonnée par les Hollandais. Les Chinois s’y gouvernent et s’y administrent sous l’autorité de chefs nommés par eux, sans autre surveillance qu’un simple contrôle de police. L’activité y est incessante, et le labeur de plus d’un atelier se prolonge parfois bien avant dans