Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/411

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

physique est seule mise en jeu ; mais tous ont droit à une part proportionnelle dans les bénéfices du voyage. On voit de ces jonques qui mesurent 6 ou 700 tonneaux. De dimensions moyennes et d’un port de 300 tonneaux, elles coûtent en Chine de 75 à 80,000 fr.

Quatorze ou quinze mille Chinois arrivent de la sorte chaque année à Singapore vers les mois de décembre, janvier, février et mars ; à peine compte-t-on parmi eux une centaine de femmes. Avec les retours et les décès, cette population se maintient à un niveau à peu près constant de 60,000 résidens. L’attachement au sol natal est ici comme ailleurs un des caractères distinctifs de l’émigrant. Non-seulement le retour est le but constant qu’il poursuit, mais pendant son séjour à l’étranger il manque rarement de mettre de côté une partie de ses gains pour l’envoyer à la famille qu’il a laissée au pays. Des jonques emportent ainsi jusqu’à 50 et 60,000 dollars, et ces sommes sont toujours remises fidèlement à l’arrivée par l’intermédiaire régulier de maisons de banque chinoises, si chétif que soit l’envoi, et si nombreux que soient les destinataires. Selon les provinces dont les Chinois sont originaires, ils se partagent à Singapore en sociétés que les Anglais appellent à tort secrètes, car la manière dont elles sont organisées n’est un mystère pour personne malgré les formalités un peu maçonniques dont l’admission des récipiendaires est entourée. Le but avoué de ces congrégations, dites hoeys, est d’assurer à leurs membres une assistance mutuelle en cas de danger ou de besoin, à la condition d’accepter la juridiction de la société, tant pour régler les différends que pour empêcher au besoin les Anglais de s’immiscer dans cette discipline intérieure. Jusque-là rien de mieux, en tant que cette police ne se substitue à l’autorité locale que dans des cas peu importans, et c’est ce qui a généralement lieu ; mais l’inconvénient des hoeys est le sentiment d’inimitié qui en résulte entre les diverses congrégations, au point de susciter parfois des troubles sérieux. Ce fut l’origine de l’émeute de 185û, dont nous avons parlé[1]. Il ne s’agissait au début que d’une insignifiante dispute de marché entre un Chinois de la congrégation des Chew et un autre de celle du Fokien. Les assistans prirent fait et cause selon le clan auquel ils appartenaient, et du marché la querelle gagna de proche en proche tout le quartier. Il est à noter que les émeutiers ne songèrent pas un instant au pillage, et que les Européens n’eurent non plus aucune crainte de ce genre. Suivant l’usage anglais, ces derniers prêtèrent serment comme constables. Les Chinois laissaient volontiers le champ libre à leurs patrouilles, mais à peine étaient-elles passées qu’ils

  1. Voyez la Revue du 15 août dernier.