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culte pour l’économie, les Chinois aiment les fêtes et ne lésinent pas sur la dépense de certains plaisirs. On a pu les voir à diverses reprises faire venir à grands frais de Canton des troupes d’acteurs et d’acrobates dont les représentations étaient remarquables par le luxe, sinon des décors, au moins des étoffes et des costumes.

Cholen compte aujourd’hui 40,000 âmes. Une des causes qui ont le plus contribué à ce développement a été la faculté donnée par nous aux Chinois d’acquérir et de posséder le sol. C’était le meilleur moyen de les retenir dans le pays. Dès la première vente des terrains, en septembre 1864, on vit monter les enchères jusqu’à 40 francs le mètre carré. Ce prix, qui n’est pas éloigné de celui de quelques quartiers de Paris, garantissait à ces lots une prompte mise en valeur ; aussi furent-ils bientôt couverts de maisons à étages qui rompirent la monotonie de ces uniformes rez-de-chaussée, seuls en usage autrefois dans le pays. Le premier qui eut l’idée de ce progrès était un millionnaire du nom de Ban Hap ; le gouverneur lui remit en audience publique, à titre de récompense et d’encouragement, une pendule dont il fut si fier, qu’il passa toute la journée en habits de fête et en visites, suivi de quatre coulies portant le précieux cadeau sur un brancard doré. Il est bon d’ajouter que les demeures de ces Chinois millionnaires sont édifiées par des compatriotes moins fortunés qui monopolisent les professions de maçon, de couvreur, de charpentier, de menuisier. Sans eux, pas une maison n’eût été construite en Cochinchine, et l’on a peine à comprendre qu’il se soit trouvé parmi les Français de Saigon des détracteurs systématiques de cette population si active et si entreprenante dans le haut négoce, si utile et si industrieuse au bas de l’échelle, si intelligente partout et toujours. L’éternel reproche qui lui est adressé est de faire sortir du pays, sans compensation suffisante, un numéraire considérable, et de ne vivre que de privations en fondant sur son gain accumulé l’espoir du retour dans la mère-patrie. C’est l’histoire des Auvergnats à Paris, de ces fourmis de la France, qui ne consomment ni ne dépensent afin de revoir un jour leurs montagnes. Peut-être ne dirait-on rien au Chinois, si, nous apportant un produit, il en emportait un autre, car les notions de libre-échange n’ont pas été sans faire quelques progrès dans ces derniers temps ; mais c’est le numéraire qu’il emporte, et voilà ce qui semble intolérable à nos économistes improvisés. L’argent, pourrait-on leur répondre, ne pousse pas plus dans les rizières de la Cochinchine que tout autre produit naturel dont le Chinois nous paierait notre riz, et s’il emporte notre numéraire, c’est qu’il l’a payé avec son travail. J’ai dit que sans lui pas une maison ne s’élèverait dans la colonie ; j’aurais pu dire également qu’il nous vêt, et qu’en lui