Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus précis, l’école positiviste soutient que, dans l’ordre actuel des choses tel qu’il nous est connu, la cause déterminative de chaque phénomène est naturelle, c’est-à-dire phénoménale, et que cette cause immédiate et prochaine est sa condition d’existence : elle donne pour objet à la science de découvrir cette connexion de deux faits. Elle établit que le but scientifique est atteint lorsque, par une analyse successive, la cause immédiate de chaque phénomène, sa condition d’existence a été trouvée dans quelque phénomène autre que lui ou dans quelque combinaison de phénomènes, à quoi il est conséquent d’une manière invariable. — Dans toutes ces propositions familières aux positivistes, nous reconnaissons précisément les principes de l’école expérimentale tels que nous venons de les analyser. Le fait de cette analogie, de cette identité plutôt, s’explique de lui-même, puisqu’il s’agit ici et là de la même méthode ; mais on comprend que l’opinion du dehors, qui n’est pas tenue d’y regarder avec attention, ait pu être induite en malentendu par cette similitude et déclarer innocemment que la science contemporaine est positiviste. Il eût été plus juste de dire que le positivisme se confond à son origine avec la science, qu’il en est directement issu, qu’il en a gardé quelques traits essentiels et comme le type de famille ; car, on ne saurait trop le répéter, ce n’est pas l’école expérimentale qui a pris à l’école de M. Comte ses principes et ses procédés, c’est le positivisme qui a pris à la science positive sa méthode et son nom. L’école expérimentale est plus ancienne que l’autre. Elle a commencé le jour où une expérience régulière a été instituée pour vérifier l’explication hypothétique d’un fait.

Suffit-il de cette analogie pour que l’école de M. Auguste Comte puisse réclamer légitimement les savans qui professent le principe et pratiquent les règles du déterminisme ? Assurément non. Et, pour spécifier la question, que faudrait-il pour que M. Claude Bernard, que j’ai pris comme type et représentant de l’école expérimentale, dût être rangé parmi les adeptes du positivisme ? Bien des conditions seraient nécessaires pour cela, car l’orthodoxie est rigoureuse dans L’école de M. Comte ; il n’est pas aisé à un penseur indépendant de s’y maintenir, à supposer qu’il y ait pris sa place. Or rien de moins évident à mes yeux que la conformité du mode de penser de M. Claude Bernard avec certains principes essentiels du positivisme. Sur deux points surtout, son indépendance absolue se manifeste avec éclat. 1° Contrairement à l’esprit de la doctrine positive, il fait une grande part à l’idée à priori dans la constitution de la science. 2° Contrairement à l’un de ses dogmes les plus arrêtés, il laisse un grand nombre de questions ouvertes, et par toutes ces issues il permet, dans une certaine mesure, le retour aux conceptions métaphysiques. — Je ne prétends