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bonne foi qu’elle a sur les esprits une autorité naturelle dont il faut tenir, compte, et que, sur bien des points de la frontière commune, elle manifeste sa force presque irrésistible d’attraction.

Je ne crois pas me tromper en avançant que c’est bien là, avec une nuance de sympathie plus marquée, l’attitude de M. Claude Bernard à l’égard de la métaphysique. Il insiste pour laisser ouvertes les questions que la doctrine positive déclare irrévocablement fermées. Je pourrais multiplier mes preuves. Je me bornerai à deux seulement, l’une que je tire de la conception qu’il s’est formée de la vie, l’autre des considérations qu’il développe sur le rôle de la philosophie dans.ses rapports avec la science.

Certes il n’entre pas dans l’esprit d’un homme qui professe aussi rigoureusement le principe du déterminisme d’en excepter l’étude des phénomènes de la vie. Son effort scientifique est au contraire de ramener ces phénomènes à leurs conditions irréductibles, opérant pour les problèmes physiologiques comme le chimiste dans la spécialité de sa science, qui analyse successivement tous les élémens de la matière complexe, et parvient soit aux corps simples, soit aux corps définis, touchant ainsi dans cet ordre de faits aux limites de la science, c’est-à-dire aux conditions élémentaires des phénomènes chimiques. Le but de cette Introduction à la Médecine expérimentale est de nous convaincre que ces conditions élémentaires, pour les phénomènes de la vie, sont des lois et des propriétés physico-chimiques, et que c’est toujours à ces lois et à ces propriétés qu’il faut faire remonter les explications vitales, en d’autres termes que les propriétés de la matière vivante ne peuvent absolument être déterminées, c’est-à-dire connues scientifiquement que dans leur rapport avec les propriétés de la matière brute : d’où résulte que la science de la vie doit avoir pour bases nécessaires la physique et la chimie. Mais qu’on le remarque bien : on nous dit que la vie se manifeste toujours « concurremment et parallèlement » avec des conditions physico-chimiques. Nulle part on ne nous dit qu’elle en résulte comme de son principe. Elle est soumise à ces conditions et à ces lois, sans en être un effet et un résultat. Alors même que la science étendrait chaque jour plus avant l’intervention des lois générales de la matière dans les phénomènes vitaux, on ne pourrait en conclure qu’une chose, à savoir que ces phénomènes, une fois coordonnés dans leur ensemble, sont dans la dépendance de la physique et de la chimie. Cela ne prouve rien pour l’origine de la vie elle-même, distincte des phénomènes par lesquels elle se manifeste. Cela ne prouve pas que le commencement de la vie soit un fait mécanique, physique ou chimique. Cette distinction ne paraîtra subtile qu’à ceux qui n’ont pas étudié de près la question. Aussi M. Claude Bernard, cherchant à définir