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positive, et qui, si elles ne répondent pas à la méthode expérimentale qui les interroge, répondent d’une manière significative aux questions de la métaphysique. Dans ces causes sourdes qui viennent se placer aux confins de la réalité matérielle, le philosophe (est-ce donc une illusion ?) entend le retentissement de l’activité créatrice qui agit par elles, qui par elles renouvelle incessamment la face du monde, et à travers les siècles perpétue le prodige de la vie.

A cette limite où expirent en même temps le principe du déterminisme et le pouvoir des sciences positives, commence la métaphysique. Elle reprend aux mains du physicien et du chimiste la chaîne suspendue des phénomènes, et la rattaché aux causes premières. Que sa tentative soit toujours heureuse, là n’est pas en ce moment la question. En soi, la tentative est légitime. L’école expérimentale le reconnaît expressément quand elle n’est pas dominée par l’esprit de système. Si elle écarte avec soin les théories philosophiques de son laboratoire, de peur de s’y asservir, elle est loin de mépriser et ne répudie pas d’une manière absolue l’effort spéculatif d’où elles sont sorties. Elle trouve même, sous la plume de M. Claude Bernard[1], pour louer ces aspirations de la pensée, des expressions magnifiques qui prouvent bien que ce n’est pas le dérisoire hommage de la puissance du jour à la puissance déchue, et qu’elle croit sérieusement aux droits, à l’autorité, à l’avenir même de la métaphysique, pourvu que la métaphysique n’envahisse pas ses domaines réservés, et qu’elle laisse le savant libre et maître chez lui.

Je ne prétends pas que ce qu’on nous accorde soit suffisant et satisfasse de justes exigences. C’est quelque chose pourtant, ce peu qu’on nous accorde. Ce peu contient de grosses conséquences. On nous dit dans un noble langage que la philosophie représente l’aspiration éternelle de la raison humaine vers l’inconnu, qu’en se tenant toujours dans les régions élevées, limites supérieures des sciences, les philosophes communiquent à la pensée scientifique un mouvement qui la vivifie et l’ennoblit, qu’en la reportant sans cesse vers la solution inépuisable des grands problèmes ils entretiennent ce feu sacré de la recherche qui ne doit jamais s’éteindre chez un savant. On craindrait, si l’esprit philosophique venait à baisser parmi nous, que le savant n’en vînt à systématiser ce qu’il sait, à s’immobiliser dans la sphère de ses connaissances acquises. Le rôle de la philosophie est donc d’inquiéter la science en agitant devant elle la masse inépuisable des questions non résolues. En tendant

  1. Voyez particulièrement le dernier chapitre de l’Introduction à la Médecine expérimentale.