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III

Résumons cette discussion. D’après l’exemple que j’ai pris, on peut voir maintenant avec la dernière évidence par où l’école expérimentale diffère de l’école positiviste.

Les deux écoles sont d’accord sur le principe et les règles du déterminisme scientifique ; mais ici s’arrête la ressemblance, et, si l’on en vient aux détails, on verra les différences éclater, se multiplier entre elles : quand on arrive aux précisions dernières, ces différences sont de telle nature que la plus subtile argumentation ne parviendra pas à les atténuer. La différence capitale, celle qui résume toutes les autres, c’est que l’une de ces deux écoles ne prétend qu’à établir d’une manière définitive la méthode scientifique, tandis que l’autre prétend fonder une philosophie, — la première se confinant dans la science, mais sans afficher aucune hostilité systématique pour les spéculations de la raison, l’autre se confinant également dans la science, mais proclamant que l’horizon de la science est celui de l’esprit humain.

Il y a dans l’école de M. Comte un dogmatisme rigoureusement négatif qui n’existe pas et qui ne peut pas exister dans l’école expérimentale, parce qu’il dépasse singulièrement ses droits et sa compétence. Ce n’est que par un abus de pouvoir que la science pourrait déclarer que la métaphysique n’a pas le droit d’exister, et pourtant cet abus de pouvoir, les positivistes le commettent tous les jours. Il n’est pas de dogme plus fortement établi parmi eux que celui qui sépare d’une manière absolue ce que l’homme sait et ce qu’il ne saura jamais. Et dans cet ordre de questions que l’on déclare inaccessibles, l’opinion n’est pas libre. Il faut sacrifier, sous peine d’encourir un blâme sévère, les fantaisies individuelles de la foi à la logique systématique des principes. M. Stuart Mill en a fait récemment l’épreuve. Il avait avancé dans son dernier ouvrage que ceux qui acceptent la théorie des stages successifs de l’opinion ne sont pas obligés de suivre jusqu’au bout M. Auguste Comte, que le mode positif de penser n’est pas nécessairement une négation du surnaturel, qu’il se contente de le rejeter à l’origine de toutes choses, que si l’univers eut un commencement, ce commencement, par les conditions mêmes du cas, fut surnaturel, et de là il concluait, non sans quelque hardiesse, que le philosophe positif est libre de se former à ce sujet l’opinion qui lui semble la plus vraisemblable. On sait ce que lui a répondu M. Littré, interprète rigoureux de l’orthodoxie en péril. « Il ne faut pas considérer le philosophe positif comme si, traitant des causes secondes, il laissait libre de penser ce qu’on veut des causes premières. Non, il ne laisse là-dessus aucune liberté ;