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sa détermination est précise, catégorique : il déclare les causes premières inconnues. Les déclarer inconnues, ce n’est ni les affirmer ni les nier, et c’est, quoi qu’en dise M. Mill, laisser la question ouverte dans la seule mesure qu’elle comporte. Remarquons-le bien néanmoins, l’absence d’affirmation et l’absence de négation sont indivisibles[1]. »

Dans la rigueur des principes, M. Littré a raison contre M. Mill. C’est cet enchaînement des dogmes qui assure et maintient à la doctrine positive sa situation distincte parmi les savans et son autorité sur certains esprits. Moins exclusive, moins systématique, elle retournerait insensiblement vers l’école expérimentale, d’où elle est issue et où elle irait se confondre. Cette école ne se distingue en effet du positivisme que par ce trait qui est essentiel, qu’elle laisse aux savans une latitude complète de penser ce qu’ils veulent et de croire ce qu’il leur plaît en dehors des sciences auxquelles elle s’applique. Elle ne s’arroge aucun droit de régler les comptes de la raison individuelle, et son seul dogme est la liberté complète des dogmes hors de son domaine réservé. Ni formulaire d’aucun genre, ni credo officiel. Elle adopte comme siens tous les savans qui acceptent le principe de sa méthode, quelle que soit d’ailleurs la couleur de leurs idées philosophiques ou religieuses, Cuvier comme Geoffroy Saint-Hilaire, M. Chevreul aussi bien que M. Claude Bernard, M. Dumas aussi bien que M. Foucault, M. Pasteur comme M. Berthelot. Elle n’excommunie aucun de ceux qui reconnaissent dans l’ordre des phénomènes naturels sa juridiction, la seule dont elle se montre gardienne incorruptible et jatoule. Pourvu que les philosophes qu’elle rencontre sur les frontières de ses domaines ne viennent pas troubler ses libres recherches et ne lui imposent aucun de leurs systèmes à démontrer, elle est toute prête à reconnaître leurs droits. Aussi voyez quelle foule de savans, que diviserait sans doute la diversité infinie des opinions particulières, se presse dans l’enceinte de plus en plus élargie de cette école ! C’est qu’elle représente la méthode, non un système. Elle correspond à la nature même des choses, non à certaines vues partielles de l’esprit. Elle est la science, elle n’est pas une secte.

Avec l’école expérimentale, la conciliation est possible. Elle n’est possible qu’avec elle. Grâce à elle, la métaphysique pourra se développer pacifiquement à côté de la science de la nature, à laquelle elle confine sur tant de points, sans se voir condamnée à perpétuité a cette guerre à outrance qui épuise en polémiques stériles des forces mieux employées de part et d’autre à l’avancement des deux sciences noblement rivales.

  1. Revue des Deux Mondes, — La Philosophie positive, 15 août 1866.