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plein d’avenir, quoiqu’il ne plaide que de bonnes causes, et qui du chef paternel est déjà possesseur d’une jolie fortune. Il vient à découvrir que sa naissance est le fruit d’une faute, que l’homme dont il porte le nom n’était pas son père ; aussitôt sa conscience s’alarme, il se demande s’il peut détenir plus longtemps une fortune qui est une spoliation, et garder l’héritage de celui pour qui sa naissance fut un outrage ; après un mûr examen, Il finit par donner tort à la loi, et se dépouille. C’est encore, comme on voit, d’une question d’argent qu’il s’agit ; à considérer la place que tient cette question dans les pièces d’aujourd’hui, on croirait vraiment qu’au XIXe siècle le comble de l’héroïsme est de savoir se passer d’argent, comme le comble du génie est de savoir en gagner. Le sacrifice de M. Berteau est rare et difficile assurément, mais il n’est pas après tout au-dessus de la vertu possible, même de nos jours, et n’aurait pas de quoi beaucoup émouvoir le spectateur, si, pour le rendre plus méritoire, l’auteur n’y attachait un sacrifice d’un autre ordre. C’est le matin même de son mariage avec une jeune fille qu’il aime, dont il est aimé, que M. Berteau fait cette fâcheuse découverte. Le dépouillement qu’il s’impose, c’est la rupture d’une union de laquelle dépend le bonheur de sa vie, c’est aussi le désespoir de sa fiancée : voilà deux existences brisées à la fois par. cette vertueuse résolution. Dès lors elle est digne de nous intéresser, — à la condition qu’elle soit inévitable, à la condition qu’elle soit permise.

Avez-vous entendu parler d’un état singulier qui s’appelle l’hypnotisme ? Pour vous y plonger, on vous suspend au-dessus du nez, entre les deux yeux, une aiguille, une perle d’acier, une petite pièce d’argent, quelque objet brillant qu’on vous prie de regarder fixement. Au bout d’un instant, par l’effet de cette tension prolongée du nerf optique, les sensations se confondent, les yeux ouverts cessent de voir, les autres sens se ferment doucement l’un après l’autre, et vous tombez dans un état d’insensibilité qui n’est plus la veille, qui n’est pas le sommeil, qui ressemble plutôt à l’extase idiote d’un cataleptique. Cette pointe d’aiguille, M. Vacquerie, avec son cas de conscience, l’a fait briller pendant quatre longs actes devant nos yeux, et nous nous sentions tomber par degrés dans l’état d’hypnotisme, si, pour nous dérober à cette irritante obsession, nous ne nous étions hâté de trouver à sa question quelque réponse. Nous n’avons pas eu à chercher longtemps. Sans faire si grand étalage de sa probité aux dépens des autres comme aux siens, pourquoi M. Louis Berteau ne garde-t-il pas cette fortune, sauf à s’en considérer comme simplement dépositaire et à la restituer par voie indirecte aux légitimes héritiers, s’il en est ? Il en existe en effet ; c’est une sœur de l’époux outragé, vieille fille hypocrite, méchante, envieuse, calomniatrice, qui vit d’une pension que lui fait sa belle-sœur. Que M. Berteau double et triple la pension de cette intéressante personne, qu’en neveu généreux il accable sa tante de ses munificences, nous n’y verrons pas à redire. Si ca n’est pas assez pour calmer ses scrupules, une autre voie lui est toute grande ouverte pour s’acquitter envers son père et