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trop choquant, et cela lui aurait peut-être trop coûté. On prit une voie détournée. Le droit commun les eût protégés, si la liberté de la presse eût alors existé; mais le premier consul était justement occupé à en réprimer les écarts, et cela même lui avait valu l’approbation à peu près unanime des nouveaux prélats. Rien ne lui parut donc plus simple que de les ranger, eux aussi, sous la règle, c’est-à-dire sous la servitude commune. Le ministre de l’intérieur prescrivit aux préfets de soumettre à la censure tous les écrits qui se répandaient dans leurs départemens, y compris bien entendu les lettres pastorales et les mandemens des pasteurs[1]. Déjà l’on avait procédé par insinuation auprès de quelques-uns d’entre eux, qui, sans accepter l’ordre, avaient par esprit de conciliation pris bénévolement les conseils du magistrat chargé de l’administration de leur département[2], Cela ne suffisait plus : Napoléon préférait maintenant une mesure générale et obligatoire. À cette occasion, nombre d’évêques, et ceux-là mêmes qui avaient témoigné le plus d’aversion pour la liberté de la presse, se mirent à protester. La position de quelques-uns était vraiment intenable. Comme le nombre des évêques était inférieur à celui des préfets, il y en avait qui relevaient à la fois de deux préfets. De ces préfets, il arrivait souvent que l’un était partisan zélé de l’ancien clergé assermenté, et l’autre un fougueux ultramontain. Plusieurs préfets appartenaient à la religion protestante; il y en avait peut-être, en tout cas il pouvait y en avoir de juifs. Ce que l’un des préfets approuvait dans le mandement qui lui était soumis, son collègue du département voisin n’en voulait pas. Que devait faire alors le malheureux évêque ? Et quelle plus singulière position que celle d’un évêque de l’église romaine obligé, avant de s’adresser à son troupeau, d’aller solliciter l’approbation préalable d’un fonctionnaire public qui, au sortir du cabinet où il a exercé son rôle de censeur catholique, va se rendre soit au prêche, soit à la synagogue, si même il se rend quelque part! Il est vrai que l’administration, qui dès cette époque pensait à tout, avait eu soin d’établir qu’il n’était pas nécessaire que le visa de l’approbation préfectorale fût imprimé au bas du mandement épiscopal; il suffisait que l’évêque l’eût communiqué à temps et qu’il eût été approuvé. Par surcroît de précautions, afin qu’une ligne de leur écriture ne pût jamais échapper à l’attention de l’autorité, on avertit les évêques qu’ils ne pourraient rien faire imprimer qu’à l’imprimerie de la préfecture; par compensation, celle-ci devait en supporter les frais. C’était encore un moyen ingénieux de donner la plus grande publicité aux mandemens agréables et de di-

  1. Circulaire de M. le ministre de l’intérieur, 12 vendémiaire an XI (5 septembre 1803).
  2. Vie de Mgr Osmond, évêque de Nancy, par l’abbé Guillaume.