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nels amis de l’ordre et qui jouissent de la confiance du peuple. Il est à la fois impolitique et immoral d’éloigner de l’état et de l’église des hommes si utiles... C’est une conduite insensée. Écrivez à l’évêque de Bayeux qu’il a déplacé dans la commune de Balleroy le curé qui y était, qu’il n’avait pas ce droit et que cela est contraire à mon intention... Mettez bien en tête à tous les évêques que, dans l’arrangement définitif, je veux des constitutionnels, tant parmi les curés que parmi les grands-vicaires et chanoines. » M. Portails ne satisfaisait pas toujours le premier consul; il le tance alors sévèrement, a Je n’ai pu qu’être très affligé de la conduite que tiennent certains évêques; vous n’avez donc pas prévenu les préfets?... Vous trouverez ci-joint le rapport du chef de légion de gendarmerie à ce sujet. Je désire que vous ayez sur cet objet une explication avec le cardinal Caprara[1]... » A l’archevêque de Lyon son oncle, il mande : « Quant à quelques réfractaires exagérés, je les ferai enlever. Méfiez-vous des Sulpiciens... ce sont des intrigans[2]. » Il engage le ministre de la justice à faire connaître par une circulaire aux commissaires du gouvernement auprès des tribunaux que son intention est de poursuivre et réprimer tout prêtre qui ne serait pas dans la communion de son évêque, et qui dès lors doit être considéré comme rebelle à l’état et au pape. Il n’approuve pas les principes de tolérance dont ont paru animés quelques préfets, pensant que c’étaient des querelles d’opinion étrangères à l’autorité civile[3]. Plus son pouvoir semble se consolider, plus sa fortune va croissant, plus il redouble de méfiance et de rigueurs à l’égard des prêtres chez lesquels il suppose un esprit d’opposition.

Dans les mois qui précédèrent et qui suivirent la conspiration avortée de George et de Pichegru, les ordres d’exil et d’arrestation se multiplient le plus souvent sur de simples soupçons. C’est par dizaines qu’il exige le renvoi ou ordonne l’incarcération de pauvres ecclésiastiques obscurs, contre lesquels il n’avance pas d’autres griefs que de n’avoir pas adhéré au concordat, ni d’autres preuves que les dénonciations de ses agens[4]. Un curé de Strasbourg est arrêté parce qu’il a logé une baronne de Reich; un prêtre de Marseille devient suspect parce qu’il a demeuré à Gibraltar. Quelques ecclésiastiques dissidens du département du Pas-de-Calais correspondent avec l’infâme évêque d’Arras. « Je veux savoir, écrit-il à ce sujet à M. Portails, quelles seraient les formes canoniques à employer pour les dégrader, afin qu’ils soient livrés à la rigueur de la justice, car je pense, ajoute-t-il, qu’il faut un

  1. Correspondance de Napoléon Ier, t. VIII, p. 28.
  2. Ibid. p. 93.
  3. Ibid.
  4. Ibid., t. IX, p. 307.