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plus encombrans. L’eau coule partout avec abondance, si bien que la terre n’est jamais desséchée. L’aspect verdoyant de la campagne aide le corps humain à supporter sans trop de fatigue les ardeurs du soleil tropical. Au fond, le climat n’est pas d’une chaleur excessive, ni même malsain pour les individus d’origine européenne. Il est plutôt remarquable par sa constance, car il n’y a, on peut le dire, aucun changement de saison. Le thermomètre se maintient toute l’année entre 22 et 33 degrés centigrades. Les pluies sont fréquentes et abondantes, mais de courte durée, et la sécheresse ne se prolonge jamais longtemps. Grâce à cette température presque modérée et à l’abri que lui offre une végétation magnifique, l’homme vit sans cesse en plein air, c’est-à-dire dans les conditions hygiéniques les plus favorables. Tout au plus peut-on objecter que les forces s’énervent sous un climat d’une si parfaite uniformité thermométrique, et que le corps humain a besoin, au bout de quelques années, de se retremper par un séjour dans un pays plus froid.

Malgré ces conditions sanitaires plus favorables qu’on n’a l’habitude de les rencontrer dans la zone tropicale, et bien que le commerce européen fasse la prospérité de la station de Singapore, ce ne sont pas les Européens qui ont peuplé cette contrée. Les immigrans de race blanche s’y trouvent en très petit nombre : à peine y en a-t-il 800. Ce sont les fonctionnaires du gouvernement colonial, les chefs des maisons de commerce, en un mot les seigneurs du pays. Le peuple est composé d’individus de races diverses qui viennent de toutes les régions d’alentour chercher la tranquillité ou faire leur fortune à l’abri des institutions britanniques.

Dans cette population si bizarrement composée d’élémens disparates, les premiers à citer sont ceux que l’on doit considérer comme autochthones et qui ont été refoulés vers l’intérieur de la péninsule par la première invasion malaise. Désignés sous les noms de binnas, jakuns, ou encore de orang-outang, ce qui veut dire, dans le dialecte malayou, hommes du sol, ces êtres sont faibles et timides; ils ne se mêlent pas volontiers aux autres habitans, et se tiennent à l’écart par petits groupes qui végètent au milieu des forêts. Ils mènent une vie errante, vagabondant au gré de leurs caprices, sans souci du lendemain et sans préoccupation de leur nourriture quotidienne, puisque les productions naturelles des bois qui les entourent suffisent à leurs besoins. Leurs habitations sont des huttes perchées sur des bambous, à quelques pieds au-dessus du sol, ou cachées dans les branches des plus grands arbres, où ils se mettent à l’abri des bêtes féroces qui pullulent autour d’eux. Ces hommes paraissent étrangers à toute idée religieuse ; cependant une mission