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de l’Australie ne viennent-ils pas aussi s’établir sur la presqu’île de Malacca? La cause en est bien simple. Il y a là sans doute d’immenses territoires en friche et bien des cultures productives à entreprendre; mais les occupations extérieures conviennent peu, sous ce climat tropical, aux hommes de la zone tempérée. Le séjour n’est pas malsain pour les négocians qui y mènent une existence comfortable et vivent à l’intérieur de leurs comptoirs; il serait mortel pour les ouvriers européens qui se livreraient aux travaux agricoles. Il est encore à considérer que la main-d’œuvre est à vil prix et ne peut procurer à l’homme blanc une rémunération proportionnée à ses besoins. Tous les travaux grossiers sont exécutés par des Asiatiques auxquels suffit un faible salaire. Deux Chinois font ensemble autant de besogne qu’un Européen et ne coûtent pas en tout moitié de ce qui serait nécessaire pour nourrir seulement celui-ci. Les ouvriers de race blanche que le hasard amène dans les colonies du Détroit se voient bientôt obligés de regagner un pays mieux approprié à leurs forces et à leur nature, à moins qu’ils n’aient l’heureuse chance de devenir contre-maîtres ou chefs d’ateliers dans les chantiers qui emploient un grand nombre de manœuvres indigènes.

En résumé, un millier d’indigènes, 140,000 Malais, 110,000 Chinois, 28,000 Hindous et 10 ou 12,000 autres Asiatiques d’origine diverse, voilà tout ce qui compose, avec 800 Européens, la population des colonie du Détroit. Les Européens forment l’aristocratie du pays, parce qu’ils ont le pouvoir et l’intelligence, et qu’il est rare que l’un d’eux vive d’un travail purement manuel ou végète dans une situation inférieure. Ils semblent au reste ne pas abuser de leur supériorité et traiter avec ménagement la foule qui les entoure. De là sans aucun doute le prestige que la race blanche a conservé dans le pays. Dans ces conditions mêmes, il est encore surprenant qu’une société si restreinte puisse vivre en parfaite sécurité au milieu de 300,000 Asiatiques, sans autre protection que quelques centaines de cipayes détachés dans chaque station par l’armée indigène de Madras. On dit, il est vrai, que les sentimens hostiles que les races jaunes nourrissent l’une contre l’autre contribuent d’une façon très efficace au maintien de la tranquillité. Si les Chinois troublaient l’ordre ou affichaient la prétention de dominer dans la péninsule, les Malais et les Hindous seraient les plus fermes-soutiens du gouvernement anglais; les Chinois, de leur côté, ne se soucieraient point de subir la suprématie d’un sultan malais; chacun de ces peuples aime mieux maintenir l’autorité actuelle que de laisser le pouvoir à l’un de ses rivaux. Quoi qu’il en soit de ces causes diverses, la vérité est que le pavillon britannique n’a jamais