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été menacé. Des troubles ont éclaté plusieurs fois, les Chinois se sont révoltés contre une loi qui leur interdisait le jeu, des pirates ont troublé le commerce, des troupes de brigands ont dévasté des maisons isolées; mais ce n’étaient là que des faits accidentels bientôt réprimés et sans conséquence fâcheuse pour les principes essentiels de la colonie.

Ne comprendra-t-on pas maintenant que les établissemens du détroit de Malacca ont une physionomie qui leur est propre? Ce n’est pas un empire comme l’Hindostan, avec une population surabondante, avec des mœurs et des institutions séculaires, avec des gouvernemens indigènes que l’Angleterre ne fait que supplanter. Ce n’est pas non plus une contrée déserte comme l’était l’Australie, ouverte à tous les émigrans, propre à toutes les cultures, favorable surtout au développement de la race blanche. A Singapore et dans les colonies voisines, le pays était presque inhabité, mais non désert. Les Européens y apportent leur industrie et la supériorité de leur civilisation. Les Malais, les Bengalis, les Chinois, plus capables de se livrer au travail sous un climat tropical, se contentent d’être au second rang. Ils acceptent et recherchent la domination étrangère qui les protège sans distinction les uns contre les autres, et leur laisse toute liberté de mettre en valeur les richesses naturelles du pays.


II.

Des trois établissemens européens qui ont été créés sur les côtes du détroit de Malacca, l’île de Singapore est, sous bien des rapports, le plus considérable. C’est la clé des mers de Java, de l’Inde et de la Chine, le port de relâche de tous les bateaux à vapeur qui desservent les colonies lointaines, le dépôt de charbon le plus important de cette région du globe. Comme point stratégique, c’est un centre à égale distance de Calcutta, de Hong-kong et de l’Australie. Toutes les flottes européennes que les guerres de Chine ont attirées dans l’extrême Orient ont paru sur la rade de Singapore. Les troupes qui y sont en garnison ou en passage peuvent être aussi bien envoyées au secours de l’Inde que du Japon. Dans l’état présent de la navigation à vapeur, qui exige des relâches fréquentes, de vastes ateliers de réparations et d’abondans approvisionnemens de charbon, les Anglais n’ont à coup sûr aucune possession lointaine qui leur soit plus précieuse. La grande compagnie de paquebots péninsulaire et orientale, qui fut la première et longtemps la seule à entretenir des communications régulières avec les mers de la Chine, a réuni dans ce lieu d’immenses ressources de