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matériel; la compagnie de navigation française, qui lutte avec avantage, au dire des Anglais eux-mêmes, contre leurs propres bâtimens, en a fait aussi, l’un des principaux centres de ses opérations.

Au moment où la compagnie des Indes prit pied à l’extrémité de la péninsule malaise, les îles environnantes n’étaient habitées que par un petit nombre de Malais, pirates durant la belle saison, pêcheurs lorsque l’état de la mer ne permettait pas d’expéditions lointaines. Poursuivie par les marines anglaise et hollandaise et même par les souverains des petits états indigènes qui subsistent encore dans le voisinage, cette coupable industrie a été presque anéantie; du moins on n’en cite plus que des cas isolés. Les nombreuses barques indigènes qui sillonnent aujourd’hui les eaux des détroits ne servent, sauf exception, qu’à des usages honnêtes; elles alimentent la ville de bois et de poisson frais, font le cabotage avec les ports de l’Indo-Chine, transportent les fruits du pays. Des Malais et des Chinois débitent, dans des scieries mécaniques qui leur appartiennent, les troncs d’arbres gigantesques qu’ils ont abattus à l’intérieur des forêts et amenés par eau sur le littoral. On peut voir sur la rade de Singapore des navires de toute forme et de toute provenance : les prahos et les lorchas des Malais, les jonques des Chinois, les bâtimens de guerre des diverses nations européennes qui ont des stations coloniales dans l’extrême Orient, les bâtimens de commerce qui portent tous les pavillons du globe; mais on y remarquera surtout les bateaux à vapeur de marche rapide qui arrivent ou partent presque chaque jour, en provenance ou à destination de Calcutta ou de Batavia, de Pointe-de-Galles ou de Hong-kong. D’immenses docks établis au fond du havre sont prêts à recevoir toutes les marchandises, et les navires y trouvent eux-mêmes, en cas d’avaries, tous les moyens de réparation dont ils ont besoin.

L’une des causes les plus puissantes de l’activité que le port de Singapore a acquise en si peu d’années est sans contredit l’immunité complète des droits de douane et de tonnage dont il a joui depuis sa création. Les navires de commerce, à quelque nationalité qu’ils appartiennent, sont exempts de taxes. Il en est de même des cargaisons, sur lesquelles on perçoit seulement un impôt très léger, dont le produit est destiné à l’entretien des phares de la rade et du détroit. Encore les négocians établis dans l’île ne cessent-ils de réclamer contre cette taxe, qu’ils considèrent, si nécessaire qu’elle paraisse, comme une exception fâcheuse à la franchise absolue de leur port. Comme les recettes de la colonie ont toujours été inférieures aux dépenses, le gouvernement de l’Inde, dont Singapore fut longtemps une dépendance, était plutôt disposé, afin de ramener le budget local à l’équilibre, à créer de nouveaux impôts