Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il n’y a pas plus de 800 kilomètres de distance entre les frontières de la Chine et le port de Rangoon, à l’embouchure de l’Iraouaddy. Le terrain n’offre aucune difficulté topographique sérieuse sur la plus longue partie du trajet ; au milieu seulement se dresse une petite chaîne de montagnes dont l’altitude n’excède pas un millier de mètres. Dans l’Hindostan même, les ingénieurs de chemins de fer ont surmonté des obstacles bien plus graves. Ces montagnes sont habitées, à ce que l’on raconte, par des hordes barbares qui rançonnent les voyageurs ; ce ne serait après tout qu’une affaire de police. Une route facile à parcourir est aisément protégée. En somme, des officiers de l’armée des Indes affirment, après avoir exploré le pays, que le projet est susceptible d’être réalisé. La difficulté réelle est de rencontrer des hommes assez téméraires pour se risquer en une telle entreprise, tant que le territoire birman appartiendra à l’un de ces despotes de l’Asie dont le gouvernement n’assure aucune sécurité aux étrangers. Il est à peine besoin d’indiquer quels changemens introduirait dans le commerce du monde cette nouvelle voie, pénétrant jusqu’aux provinces les plus reculées de la Chine et ouvrant vers l’ouest un débouché inattendu aux caravanes de cet immense empire. Ce que Shang-haï et Hong-kong sont aujourd’hui pour la région que baigne la mer orientale, Rangoon le deviendrait pour la région centrale. L’Iraouaddy déverserait dans la baie du Bengale, comme aujourd’hui le Yang-tsé-kiang dans l’Océan-Pacifique, les innombrables productions de l’empire du Milieu, avec cette différence à l’avantage de celui-là, qu’il y a entre les embouchures de ces deux fleuves la longue et pénible navigation de l’archipel de la Sonde. En un mot, la Chine serait entamée par l’Occident et mise en relation immédiate avec l’Inde anglaise.

S’il s’établissait un jour, — ce qu’on ne peut que rêver aujourd’hui, — un grand courant commercial par caravanes au travers de l’Asie, ou, ce qui est encore plus douteux, des voies de communications rapides à travers tant de plaines et de chaînes de montagnes dont les noms nous sont presque inconnus, que deviendraient les établissemens coloniaux du Détroit dont l’histoire et les progrès ont été exposés plus haut ? Singapore perdrait sans doute une grande partie de son importance actuelle dès que la barrière dont ce port garde l’extrémité serait abattue. Le bénéfice d’une situation géographique qui est unique dans le monde lui échapperait ; mais il lui resterait encore le commerce de l’archipel et des régions voisines de l’Asie. Il y aurait toujours là une rade magnifique, un pays fertile, un climat sain et toutes les splendeurs de la nature équatoriale. Ce serait, comme est aujourd’hui Penang, un centre où affluerait l’émigration étrangère, d’où rayonneraient sur la con-