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tels que Rangoon, Moulmein, Tavoy, Merguy et Penang, ne manquera pas d’occuper tôt ou tard les positions intermédiaires, conquête lente et pacifique, qui ne fait du moins qu’améliorer le sort des habitans de ces contrées. L’influence anglaise a pris également, ainsi qu’on va le voir, des points de repère au-delà de Singapore, comme si elle devait dominer un jour sur tous les rivages de la Malaisie, où d’autres nations européennes ne viendront pas lui disputer la prépondérance.


III.

Parmi les nombreux paquebots dont les relâches périodiques donnent tant d’animation à la rade de Singapore, on remarque à peine un petit bateau à vapeur, le Rainbow, d’environ cent tonneaux de jauge, armé de deux canons de médiocre calibre et dont le pavillon ne rappelle les couleurs d’aucune nation connue. Le touriste qui prend passage sur ce bâtiment arrive après trois jours de traversée en vue de la côte septentrionale de Bornéo. Il remonte le cours d’une belle rivière sur les bords de laquelle apparaissent çà et là des villages malais au milieu des palmiers, des palétuviers et des innombrables végétaux de la zone torride. Enfin, à un détour du fleuve, il découvre une ville à moitié malaise, à moitié chinoise, que dominent un fort, une église et quelques autres habitations de construction européenne. C’est Kuching, capitale de l’état de Sarawak. Un ancien officier de l’armée britannique, sir James Brooke, a accompli sur ces rivages, sans autre appui que le concours de quelques amis dévoués à sa fortune, la plus romanesque entreprise de la colonisation moderne. Après vingt-cinq ans de luttes incessantes entremêlées de victoires et de désastres, il s’est vu traité de souverain par le gouvernement de son pays natal et reconnu pour chef d’un royaume indépendant. En une contrée où la piraterie et les guerres intestines de tribu à tribu étaient l’état normal, les indigènes oublient les coutumes barbares de leurs ancêtres, et, sous l’influence ferme.et conciliante de leur rajah britannique, commencent à se livrer aux paisibles occupations de l’agriculture et du commerce. L’histoire de ce gentilhomme anglais, devenu monarque en un pays sauvage, mérite à coup sûr un instant d’attention. La création singulière de l’état de Sarawak donne en effet la mesure de la civilisation que les populations malaises sont capables d’atteindre, et montre sous un nouveau jour l’avenir qui leur est réservé.

Au centre de cet immense archipel de la Malaisie, dont on a dit, non sans raison, que c’est le paradis du globe, au milieu des mers