Virgile a eu le sentiment de l’Italie, qui existait déjà, car il y avait une Italie depuis la fin de la guerre sociale. Il l’a célébrée avec amour[1], et dans cet hommage à la patrie italienne il n’a oublié ni le nord de la péninsule, hier encore gaulois, ni le midi, toujours à demi grec, ni le centre demeuré sabellique, ni la vaillante Étrurie.
À Rome, il ne reste nul vestige de l’auteur de l’Énéide, on sait seulement qu’il habitait sur l’Esquilin, près des jardins de Mécène. Ce voisinage avait attiré les poètes dans ce quartier ; Properce y habitait, comme Virgile et probablement Horace[2].
La légende a commencé de bonne heure pour Virgile. Avant que dans les fabliaux on eût fait du grand poète un sorcier malin et quelquefois dupé, dans la Vie de Virgile attribuée à Donat, parmi d’autres anecdotes puériles, il en est une dont l’origine pourrait bien se rattacher au tombeau de Virgilius, entrepreneur en boulangerie, ce tombeau découvert il y a quelques années en dégageant la Porte-Majeure d’un ouvrage de fortification qui remontait à Honorius. Ce monument bizarre, dans lequel le mort avait fait représenter en de curieux bas-reliefs tout ce qui se rapporte à la préparation, à la confection et à la vente du pain, ce monument, avant qu’il eût disparu dans les constructions d’Honorius, avait dû frapper les yeux du peuple par sa grandeur, sa singularité, sa situation à l’angle que formaient les voies Labicane et Prénestine. Le nom de Virgilius dans l’inscription avait pu faire croire au vulgaire que c’était le tombeau de Virgile. De là peut-être est venue une historiette ridicule, d’après laquelle Auguste aurait envoyé plusieurs fois des pains au poète, et le poète, mécontent d’être ainsi récompensé, aurait dit un jour à l’empereur que sans doute il était fils d’un boulanger. Le peuple, en voyant représentés sur ce qu’il prenait pour le tombeau de Virgile des pains transportés, pesés, distribués, a pu supposer que ces représentations faisaient allusion à un trait de la vie de Virgile, et imaginer le conte absurde dont je viens de parler.
La légende de Virgile magicien n’a pas été inconnue à Rome ; c’était à lui qu’on attribuait, au moyen âge, la fabrication de cette tour, garnie de miroirs magiques, où venait se réfléchir tout ce qui se passait dans le monde romain : vive expression de l’idée qu’on se faisait de la vigilance de l’empire ; fable qui est l’origine du nom que porte encore une rue, Tor di Specchi, la Tour aux Miroirs.