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crates, il n’avait pas eu, à vrai dire, plus de partisans fidèles que de desseins arrêtés. L’élection allait lui servir à organiser son parti.

Le moment d’ailleurs était favorable. Depuis quelque temps, les partis politiques étaient aussi désorganisés que le gouvernement. Sauf les radicaux, qui formaient encore une armée compacte et obéissante, nul ne pouvait plus guère reconnaître son drapeau. Les anciens républicains flottaient depuis longtemps entre les radicaux et le président. Les démocrates, discrédités depuis la guerre, ne demandaient qu’à se fondre dans un parti nouveau. En rassemblant tous ces élémens épars sous le nom de parti national unioniste, le président voulait exploiter à la fois les rancunes des vaincus et le sentiment patriotique qui animait les vainqueurs. Il résolut d’assembler à Philadelphie une convention monstre, appelée de tous les quartiers de l’horizon. Les républicains y seraient admis comme les démocrates, les hommes du sud comme les hommes du nord, tous ceux enfin qui voudraient s’enrôler sous la bannière du président Johnson et voter un programme favorable à sa politique. Avec une pareille machine de guerre, il espérait être invincible. N’allait-il pas d’ailleurs rester seul à Washington après la dispersion des chambres avec tous les ressorts du gouvernement sous sa main? Nul président des États-Unis n’avait encore été si habile à pratiquer cette ingénieuse méthode du patronage, qui, par une savante combinaison de nominations et de destitutions opportunes, sait faire du pouvoir administratif une arme électorale au service du gouvernement. Le président Jackson, l’inventeur du système, le premier qui ait osé dire que l’administration tout entière devait être renouvelée à chaque changement de présidence, et que les dépouilles des vaincus appartenaient légitimement au vainqueur, le grand Jackson lui-même n’eût été qu’un novice auprès de son successeur et imitateur André Johnson. L’honnête et regretté président Lincoln disait lors de sa réélection à la présidence qu’il considérait le renouvellement de son mandat comme une injonction que lui faisait le peuple de ne pas toucher à l’administration établie. André Johnson, ce président de hasard, et comme disaient les radicaux, « cet homme fait président par l’assassin John Wilkes Booth, » se moquait de ces scrupules mesquins et surannés. Il professait hautement qu’il devait y avoir une continuelle « rotation » administrative, que le pouvoir de nommer les fonctionnaires lui avait été confié pour asseoir son influence personnelle et grossir les forces de son parti. Il déclarait dans un discours public que tous les fonctionnaires devaient soutenir sa politique, et qu’il chasserait à coups de pied[1] ceux qui lui seraient infidèles. On sait

  1. Traduction littérale, en anglais kick them out.