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fît construire dans un des faubourgs de la ville un énorme wigmam, comme on appelle en Amérique ces vastes salles provisoires qui sont destinées à être démolies le lendemain du jour où elles ont servi; puis elle se mit lestement à l’œuvre, et en trois jours tout fut fini. La convention avait formulé son programme. Trois jours avaient suffi à cette cohue disparate pour se donner de communs principes et pour se mettre d’accord sur toutes les grandes questions qui agitaient le pays. On ne dira pas cette fois que c’est la discussion qui divise, et que la liberté politique ne sert qu’à entretenir les discussions des partis.

C’est au contraire une des plus grandes vertus de la liberté américaine que de rendre impossible cette politique mesquine qui ne sait rien conquérir, parce qu’elle ne sait rien abandonner de ses préjugés et de ses colères. Les intérêts de coterie sont toujours noyés dans ce grand mouvement qui entraîne les peuples libres et qui règle les évolutions des partis sur les besoins du jour, et non sur les prédilections cachées de chacune des fractions qui les composent. Républicains, démocrates, sudistes, unionistes, tous ces hommes ennemis hier obéissaient à une passion et à une nécessité communes. Oubliant leurs différends aujourd’hui stériles, et que d’ailleurs il serait toujours temps de se rappeler plus tard, ils essayaient de former l’union conservatrice, comme ailleurs on essaie timidement de former l’union libérale, entreprise, hélas! bien vaine dans un pays où l’on se console de servir soi-même, pourvu qu’on aide à opprimer son voisin. Au lieu d’apporter à Philadelphie des rancunes séculaires et des prétentions insatiables, ils venaient avec la ferme volonté de s’entendre et de signer un compromis qui deviendrait leur loi respectée pendant tout le temps de leur commune alliance. Les délégués des états du sud s’étaient fait remarquer par leur sagesse inattendue. Invités à la convention par leurs collègues du nord, ils avaient quelque temps hésité à s’y rendre : ils se demandaient s’il était conforme aux intérêts du sud, c’est-à-dire aux intérêts du parti auquel il attachait sa fortune, qu’ils parussent dans une assemblée toute pleine d’anciens républicains à peine refroidis de la guerre, eux surtout qui n’avaient pas encore de représentans à élire et qui ne pouvaient prendre part aux élections. Ils craignaient que l’opinion publique ne vît d’un mauvais œil leur présence, et même qu’il ne s’élevât dans le sein de la convention, entre eux et les hommes du nord, des querelles qui affaibliraient le grand parti conservateur aux yeux du pays. Ils résolurent enfin d’éviter ce danger en s’esquivant au moment du vote des complimens obligatoires à l’armée fédérale. Un des leurs fut chargé d’avertir la convention qu’ils comptaient s’absenter doucement pour n’avoir pas à protester. Ils consentirent même volontiers à exclure de la convention ces