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la future pendaison des radicaux; mais, répondant enfin à ce cri de « New-Orleans » qui le poursuivait depuis quelques jours, il s’emporta jusqu’à dire que l’émeute de la Nouvelle-Orléans était une infâme machination des radicaux, que chacun des membres de la prétendue convention de la Louisiane était un traître et un rebelle, et que leur sang devait leur rester sur les mains; c’était avouer impudemment sa complicité personnelle dans la sanglante répression de leur crime imaginaire. « Oui, s’écria-t-il, on m’a appelé traître. Judas Iscariote et tout le reste... Judas Iscariote, Judas? Il y a eu un Judas, c’était un des douze apôtres. Oui, et les douze apôtres avaient un Christ, et le Christ n’aurait pas pu avoir de Judas, s’il n’avait pas eu douze apôtres. Si j’ai fait le Judas, qui donc est mon Christ? est-ce Thad-Stevens? est-ce Wendell Phillips? Est-ce Charles Sumner? Sont-ce là les hommes qui osent se comparer au Sauveur des hommes, et quiconque n’est pas de leur opinion et essaiera d’arrêter leur politique diabolique et scélérate sera dénoncé comme un Judas? » Finissons-en avec ces tristes citations de l’éloquence présidentielle; ce court échantillon suffit pour la juger.

Tant de scandales lassèrent enfin la patience américaine. Les discours du président, lus avec avidité d’un bout du pays à l’autre, y produisaient un effet de stupéfaction et de colère tout différent de ce qu’il en avait espéré. Ce n’était pas la première fois qu’il donnait au monde un spectacle humiliant pour son pays. Personne n’avait oublié son discours du 22 février à la Maison-Blanche[1], ni les autres accès de folie qui avaient étonné jusqu’à ses amis. On espérait toujours qu’il s’était corrigé, et que les leçons de l’expérience profitaient à sa sagesse. Cette fois la rechute était trop grave pour laisser place à l’espérance, et ses partisans eux-mêmes en demeuraient consternés. Ils en étaient réduits à dire, pour excuser le président, qu’il avait hélas! une infirmité malheureuse : il ne pouvait parler en public sans avoir fortifié ses nerfs par des libations qui affaiblissaient un peu ses idées; mis devant une foule populaire, au bruit des hurrahs et des murmures, sa tête s’échauffait malgré lui, et si la contradiction venait à l’irriter, il ne se possédait plus. Si donc il s’était emporté deux ou trois fois outre mesure, au fond ce n’était pas tant sa faute que celle de ces scélérats de radicaux qui, sachant son point vulnérable, avaient aposté dans les foules des interrupteurs gagés. Enfin ils essayaient de déguiser le président en victime, et de représenter son petit défaut comme une infortune intéressante qui devait lui attirer la sympathie. Ce défaut n’est pas d’ailleurs très rare chez les hommes poli-

  1. Voyez la Revue du 1er avril.