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boue pour la plus grande gloire de leur opinion. Le héros de la fête était le gouverneur Brownlow, le fighting parson Brownlow du Tennessee, ce clergyman politique et guerrier, autrefois l’ami intime et aujourd’hui l’ennemi acharné de son compatriote Andrew Johnson. Le peuple de Philadelphie, qui avait assisté la semaine précédente à l’entrée triomphale du président, avait aujourd’hui le bonheur de contempler cet homme de Dieu dans sa posture favorite, les deux jambes perchées sur le siège d’une calèche dont il occupait le fond, à la grande incommodité de ses deux compagnons assis en face de lui. M. Tilton, rédacteur du New-York Independent, marchait bras dessus bras dessous avec le nègre Frédéric Douglass, que la convention nomma son vice-président. Cette respectable assemblée avait d’autres petits ridicules : ainsi plusieurs femmes s’y étaient fait admettre, et miss Anna Dickinson, le candidat femelle au congrès, y avait déployé ses fameux talens oratoires. En somme, on y avait pris des résolutions sages. La question du suffrage des noirs, après avoir causé un violent orage, avait été décidément ajournée, et la majorité s’était rendue aux idées de prudence qui conseillent de ne pas en faire encore un des principes officiels du parti. On avait voté « le pardon, mais non la récompense des rebelles, » la guerre implacable au président et l’envoi de cinquante orateurs radicaux dans tous les pays traversés par le président, pour le suivre à la piste et détruire pas à pas la popularité qu’il avait conquise.

Mais, comme nous venons de le voir, le président s’était chargé lui-même de rendre tous ces efforts superflus. Il y a dans les masses populaires, quand elles sont accoutumées à penser et à vouloir par elles-mêmes, une sagesse et un bon sens qui confondent toutes les prévisions. M. Johnson avait cru plaire à la foule en lui parlant son langage et en s’abaissant à son niveau ; mais il avait dépassé son but, il était tombé plus bas que la populace, et il trouvait des juges sévères dans ceux même dont il avait flatté les passions. Ses déclamations démagogiques, ses dénonciations grossières, l’appel qu’il n’avait cessé de faire aux plus mauvais et aux plus dangereux instincts de la multitude, tout cela n’avait servi qu’à inspirer au peuple du mépris pour le président et de l’éloignement pour sa politique. On s’en aperçut aux deux élections qui eurent lieu dès le mois de septembre dans le Vermont et le Maine. Ces deux états n’envoyèrent au congrès que des représentans radicaux. Dans le Maine, la majorité républicaine, qui n’était que de 20,000 voix il y a deux ans, en comptait cette année 30,000. En même temps l’état de New-Jersey, l’ancienne forteresse des démocrates et leur refuge pendant la guerre, votait dans sa législature l’amen-