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continuent d’apprendre la tradition consacrée. Ne demandez pas au soldat-chroniqueur quelques renseignemens sur la politique générale de l’Europe à l’heure de ces grandes luttes, sur la conduite des divers cabinets, sur la formation et le revirement des alliances, sur la responsabilité des principaux acteurs ; il n’en sait pas le premier mot. Ce qui se passe au grand jour, il le rapporte à sa manière ; ce qui s’est préparé dans l’ombre, il ne l’a jamais soupçonné.

Quand on a commencé de nos jours à s’enquérir des pièces diplomatiques à l’aide desquelles on pouvait voir le dessous des cartes et contrôler les assertions de Frédéric II, ce furent encore des Prussiens qui se chargèrent de cette tâche. Tandis que M. Preuss, l’historiographe en titre du royaume et l’éditeur des œuvres complètes de Frédéric le Grand, avait naturellement à sa disposition les archives secrètes de Berlin, MM.  Raumer et Ranke interrogeaient à Londres le State Paper-Office, MM.  Schlosser et Stuhr consultaient nos archives. Etaient-ce là des garanties suffisantes ? Soit que le patriotisme particulier rendît l’impartialité trop pénible à tel ou tel des investigateurs, soit que les autres fussent dominés à leur insu par la force des idées courantes et le prestige d’un grand nom, la question des origines de la guerre de sept ans demeurait toujours indécise. On n’affirmait plus, comme Frédéric II dans ses histoires et ses écrits officiels, qu’une conspiration austro-russe, à laquelle la Saxe avait donné les mains, l’avait obligé de s’allier à l’Angleterre et de mettre l’Allemagne en feu. D’une telle conspiration, en effet, on ne trouvait nulle part la trace sérieuse. Seulement on persistait à dire que Frédéric avait dû croire à l’existence de ces noirs complots, puisqu’il en parle si souvent, avec des affirmations si nettes et une colère si vive. Quelques-uns même avaient recours à des hypothèses pour maintenir la tradition et justifier le roi de Prusse ; Schlosser soutenait que le ministre de Marie-Thérèse, M. de Kaunitz, étant son secrétaire à lui-même et n’ayant pas de confident, avait bien pu emporter son secret dans la tombe ; Stuhr supposait que ce même Kaunitz, par une machination ténébreuse, avait fait tomber entre les mains de Frédéric la copie mensongère de ce prétendu traité, afin de pousser le margrave rebelle à des entreprises violentes qui fournissent l’occasion de le châtier une fois pour toutes. Bref, la gloire, la légende de Frédéric le Grand et sa popularité en Allemagne le protégeaient contre les démentis qu’auraient dû lui infliger les investigations de la critique historique de nos jours. C’est à peine si M. Onno Klopp, dans un livre intitulé le Roi Frédéric II et la Nation allemande, a commencé, il y a dix ans, cette enquête devant laquelle hésite encore le patriotisme germanique ; il est vrai que M. Onno Klopp appartient à une école sus-