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chaque armoire et de chaque tiroir. Si on nous les refuse, les postes seront doublés. » Les secrétaires vont conférer avec la reine sur le parti à prendre ; ils lui conseillent de ne pas se laisser effrayer par la menace du commandant : « Laissons-le doubler ses postes, et gardons nos clés ; ce sera obliger le roi de Prusse à briser les portes, les serrures, à se déshonorer par une sorte de brigandage. » La reine préfère un moyen terme ; elle ne veut ni admettre les sentinelles prussiennes dans l’intérieur du palais, ni livrer ces clés pour qu’on en fasse usage. Elle les remettra, puisqu’il le faut, mais dans un paquet scellé du sceau royal ; les portes du cabinet de la chancellerie seront scellées de la même manière. Ne sont-ce pas là les garanties que demande le roi de Prusse ? Déconcerté un instant par cette offre inattendue, M. de Vangenheim ne s’y rend pas sans résistance ; les clés, il veut les voir, les toucher, les compter ; quant aux scellés, il insinue brutalement que la garantie pourrait bien être insuffisante, et n’accepte le sceau de la reine sur les portes de la chancellerie qu’à la condition d’y apposer le sien propre. La proposition ayant été repoussée comme une insulte, le soldat emporte ses clés et va consulter son chef, le général Wylich, commandant de la place. Il revient à dix heures du soir, annonçant que le général lui a donné l’ordre de placer son propre sceau à côté du sceau de la reine.

Est-ce assez de grossièretés et d’outrages ? Non, tout n’est pas fini. Le lendemain 10 septembre, à sept heures du matin, M. de Vangenheim, qui la veille avait relevé ses sentinelles, revient établir trois patrouilles à la porte de la chancellerie et fait prévenir la reine que, le roi de Prusse ayant besoin de certains papiers déposés aux archives, il est obligé d’y pénétrer malgré le sceau qui en protège le seuil. La reine était à la messe dans la chapelle du château ; elle mande son premier chambellan, le baron de Wessenberg, et lui donne mission d’aller porter ses plaintes au roi de Prusse, qui, après quelques heures passées à Dresde, était reparti pour le quartier-général. Vangenheim déclare qu’il lui est impossible d’attendre le retour du messager, et déjà il s’apprête à briser le sceau. À ce moment-là même, la reine, sortant de la chapelle, traversait la galerie sur laquelle s’ouvre la chancellerie ; elle voit ce qui se passe, marche droit à la porte et demande à M. de Vangenheim s’il osera bien mettre la main sur la reine de Pologne. Le soldat s’incline, s’excuse, balbutie et court demander de nouveaux ordres au général. Le général arrive lui-même ; il arrache le sceau, il ouvre les portes, il fouille les tiroirs, il brise les cassettes dont les clés lui manquent, il ajoute les menaces aux violences, et enfin, après toute une journée de perquisitions, c’est-à-dire de bouleversement et de pillage dans la chancellerie saxonne, il part avec ses acolytes, em-