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n’est pas autre chose que la Prusse du XVIIIe siècle si les griefs du passé doivent dominer les intérêts du présent, si des rancunes oubliées doivent prendre la place de la politique, le manifeste de M. de Vitzthum n’a pas manqué son but ; mais c’est là précisément toute la question. À quoi tend cette polémique rétrospective ? Quels sentimens nous découvre-t-elle chez ceux qui la font ou qui l’approuvent ? J’ai bien peur qu’elle ne soit plus fâcheuse pour l’ancien cabinet saxon que pour la Prusse elle-même. L’Allemagne entière, celle du nord comme celle du midi, sait bien que Frédéric le Grand ne fut pas un saint Louis ; dompteur de peuples et fondateur d’empire dans un siècle sans scrupules, il était de la race des hommes dont le poète a dit :


Et vous, fléaux de Dieu, qui sait si le génie
N’est pas une de vos vertus ?


Une chose digne de remarque, c’est que le nouvel enthousiasme des Prussiens pour Frédéric II, cet enthousiasme sans réserve exprimé par les écrivains de tous les partis, depuis le féodal jusqu’au démagogue, date surtout de ces quinze dernières années, c’est-à-dire de l’époque où l’action légitime de la Prusse a été arrêtée violemment par la politique du prince de Schwarzenberg. L’image du roi philosophe s’est transfigurée pendant cette période, comme l’image de Napoléon en France pendant les quinze années de la restauration. Ces circonstances particulières une fois écartées, soyez sûrs que l’Allemagne n’est pas disposée à plier les genoux devant l’idole. L’Allemagne est le pays de la critique, et ce n’est pas chez elle que l’histoire craindrait aucune révélation d’aucun genre. Le livre de M. de Vitzthum, qui se borne à confirmer par de tragiques détails des jugemens consacrés, n’est donc point fait pour lui causer le moindre embarras. Pure affaire d’érudition et de curiosité, ces Secrets du cabinet saxon ne sont que des documens nouveaux ajoutés à bien d’autres ; mais quand on a vu l’un des personnages les plus considérés de l’aristocratie saxonne disposer tous ces odieux souvenirs comme une machine de guerre contre la Prusse nouvelle, quand on a su que ce livre, sans avoir un caractère officiel, exprimait pourtant les sentimens et les idées de l’ancien gouvernement saxon, les esprits impartiaux ont été stupéfaits des illusions, bien plus de l’aveuglement volontaire auquel ce gouvernement se condamnait lui-même. Que la Saxe ait eu de justes raisons pour craindre et, si l’on veut, pour détester l’action envahissante de ses voisins du nord, nul n’en doit être étonné. Prenez garde pourtant ; la peur et la haine sont souvent de mauvaises conseillères, elles empêchent de voir nettement les choses. Ce sont de mauvaises dispo-