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l’augmentation continue des moyens de rapprochement entre les traditions allemandes et les traditions scandinaves[1], ont permis de poser du moins quelques jalons qui faciliteront peut-être de futures découvertes. Si nous ne citons pas plus de noms propres, ce n’est pas que l’opulente érudition de l’Allemagne ne nous en fournisse un très grand nombre ; mais il faut se borner, notre goût français trouvera probablement qu’il y en a déjà bien assez, et d’ailleurs le présent travail contient la substance des recherches multipliées dont la vieille épopée germanique ne cesse d’être l’objet.

Le moment est venu d’énoncer les raisons qui ont conduit la critique à chercher dans les poésies scandinaves des lumières sur les origines du poème allemand. On sait généralement que les vieilles poésies païennes du nord, constamment refoulées par les progrès de la foi chrétienne, trouvèrent un asile et un sol favorable en Islande, où elles se chantaient encore longtemps après avoir disparu du continent. Chose remarquable, en Islande plus que nulle part ailleurs la vieille légende et la foi nouvelle subsistèrent côte à côte en assez bonne intelligence. Les anciens dieux ne devinrent ni des démons ni des saints, ils restèrent eux-mêmes. Ce furent des prêtres qui conservèrent les chants héroïques sans les dénaturer dans l’intérêt de l’église. L’éloignement du centre agressif et intolérant de la chrétienté explique ce phénomène malheureusement trop rare, et justifie l’intérêt de premier ordre qui s’attache à l’étude des antiques chants de l’Islande. L’Edda ou plutôt les Eddas, — car il y en a deux, l’ancienne, vraisemblablement recueillie par le prêtre islandais Sœmund le Sage, mort en 1133, et la nouvelle, rédigée en grande partie par Snorri Sturluson (XIIIe siècle), — les Eddas se composent de chants et de récits relatifs à la mythologie et aux légendes héroïques du nord. L’origine germanique de cet ensemble de traditions ne peut être révoquée en doute, mais cela veut dire seulement qu’elles sont venues des contrées qui forment aujourd’hui l’Allemagne, dans un temps où, sous le rapport des mœurs, du langage et des croyances, la différence entre Germains et Scandinaves était encore fort peu sensible. En fait, elles sont la propriété commune de ces deux grandes sœurs jumelles de la famille aryenne ; mais on ne peut nier que la forme sous laquelle nous les connaissons ne soit frappée à l’empreinte du pays très septentrional où elles se sont perpétuées si longtemps avant d’être fixées par l’écriture.

Eh bien ! dans les Eddas et dans d’autres recueils de vieilles poé-

  1. On peut consulter avec fruit le bel ouvrage de M. A. Raszmann, Die deutsche Heldensage und ihre Heimat (la légende héroïque allemande et son berceau) ; Hanovre, 1857.