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nel, de moins féroce que cette mélodie à quatre temps. Une marche à l’autel dans le vieux style ne procéderait pas autrement, et cependant, malgré son apparente bonhomie, malgré la contradiction qui existe, selon Goethe, entre les vers et la musique, cet air n’en aurait pas moins, au dire de Klopstock, coûté la vie à cinquante mille braves Allemands. Apparente, j’insiste sur le mot, car la contradiction n’est qu’à la surface, et, pour peu qu’on y réfléchisse, on s’en convaincra facilement. La Marseillaise fut écrite aux premiers jours de la révolution, sous l’impression encore subsistante de l’ancienne société monarchique. Elle s’adresse aux Français de cette tradition, aux Lameth, aux Lafayette, à d’honnêtes gens relevant de la tyrannie, mais sans vouloir ni prévoir les horreurs de 93, et pour qui simplement u le jour de gloire est arrivé ! » De là ce calme inspiré, cette harmonie du chant de guerre avec la devise du moment : « liberté, égalité, fraternité. » Bien autres sont les hymnes de Weber, cri féroce et désespéré de tout un peuple d’envahis qui ne saurait avoir rien de commun avec le réveil d’un peuple libre marchant à ses destinées nouvelles. Autant Rouget de Lisle a l’enthousiasme débonnaire, autant l’âme de Weber respire la haine, la vengeance et le sang. C’est le cri d’extermination, la voix des hordes déchaînées, l’hallali des fauves chasseurs de Lutzow courant sus aux ravageurs de leurs familles, de leurs églises et de leurs moissons. Rouget de Lisle sut-il ce qu’il faisait ? J’en doute. Poète et musicien, ce n’était qu’un très médiocre dilettante ; mais il avait au cœur toutes les flammes du patriotisme, tout l’amour de la liberté. Il composa d’instinct, sans penser à la forme, qu’il ne maniait pas, et sous la dictée du sentiment, qui mainte fois, à lui seul, trouva le secret des chefs-d’œuvre. Chez Weber au contraire, le patriote et l’artiste se valent. Il sait d’avance quelle forme donner à sa furie sauvage : paroles, mélodie, harmonie, tout semble venir d’un seul jet. Des temps rapides, forcenés, des éclairs de rhythmes, des intervalles qui bondissent comme des lions ; une musique de grand patriote à la fois et de grand ouvrier ! C’est aussi de l’airain et de l’acier cela, mais forgé, poli, travaillé de main de maître. La Marseillaise ne pouvait qu’être une et rester une ; l’œuvre patriotique de Weber forme un cycle et s’appelle légion.

Une grande cantate pour le retour du roi de Saxe clôt la liste de ces compositions, surtout empreintes d’un caractère national. Triste rapprochement ! ne rentrait-il point aussi ces jours derniers dans ses états, le roi de Saxe ? et sous quels douloureux auspices ! Quel nouveau Weber chantera la désolation de ce retour ? Dresde, pays charmant, aimable cour que nous avons connue si docte, si fortunée, aux temps où les princesses y composaient d’agréables comé-