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celle que l’Angleterre a choisie dans le monde moderne. Le secret de son pouvoir était aussi dans ses coffres, et elle les remplissait de même avec la banque et la fabrique des tissus. Avant l’Angleterre, Florence avait inventé l’art de soudoyer des nations plus fortes qu’elle, de semer la désaffection parmi les sujets des rois, ou de fournir aux rois le moyen de subjuguer les peuples, le tout suivant les vues éloignées d’un équilibre politique ou suivant l’intérêt prochain d’un intérêt commercial. Avant l’Angleterre, elle a patronné les princes dans l’embarras et tenu les fils qui ouvraient ou fermaient les écluses de l’abondance financière.

L’Angleterre n’a pas été non plus la première à connaître la liberté, et c’est le second trait de ressemblance. Les Florentins sont les plus anciens pionniers de cette région vers laquelle tendent évidemment toutes les nations modernes, et qu’elles atteindront, il faut l’espérer, si elles savent se mettre en garde contre les naufrages qu’elles ont essuyés elles-mêmes, ou qu’elles rencontrent dans l’histoire de la petite république dont nous nous occupons. Florence a l’insigne honneur d’avoir pour la première fois tenté le glorieux et rude chemin. C’est une grande entreprise que de fonder la liberté : les Florentins, qui, avant tout autre peuple, se risquaient dans cette route, ne pouvaient manquer de s’y égarer. Ils se faisaient de l’œuvre une idée trop simple, et n’en jugeaient qu’avec les lumières primitives de l’homme encore inculte, pour qui la liberté n’est que le pouvoir de faire tout ce qui lui plaît. Si par hasard la liberté se trouvait être cette machine compliquée qui la représente aux yeux d’un citoyen anglais, ce mécanisme d’autant plus malaisé à obtenir qu’il se compose de pièces de tous les âges, comment s’étonner que les Florentins n’y soient pas parvenus? Mais ils ont essayé d’y arriver, ils y ont consacré cinq siècles de travail et de courage, et s’ils ont échoué, ils ont du moins fait voir au monde moderne qu’il existait d’autres formes politiques que le pouvoir d’un seul. Ils n’ont pas voulu chez eux du gouvernement déjà établi ou en train de s’établir partout autour d’eux, de la monarchie du droit divin qui les assiégeait de toutes parts, qu’elle s’appelât royauté, empire ou principauté. Ils ont annoncé à l’Europe qu’un gouvernement non consenti n’était pas un gouvernement, et qu’il fallait la volonté d’un peuple pour établir le pouvoir d’un chef. Ce n’est qu’un pas dans la route de la liberté, mais c’est le pas décisif. Si la liberté florentine est demeurée très loin de la liberté anglaise, du moins elle l’a précédée et rendue possible.

Une simple réflexion donne la mesure du service rendu à l’humanité par ce petit peuple de cent et quelques mille hommes. Si Florence n’avait pas soutenu durant des siècles ce duel à mort con-