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tre le gibelinisme, que serait-il arrivé? Le sort des autres cités, surtout des cités lombardes, où le principe gibelin triompha, nous permet de le deviner : Florence eût été une autre Milan, une autre Vérone. Supposons que l’idée de l’autorité sans contre-poids, sans limite, que l’exagération de l’esprit conservateur, comme on dit aujourd’hui, eût détruit partout l’esprit guelfe et n’eût laissé debout que les gibelins, que la féodalité plus ou moins liée à l’empire, quel changement dans les destinées non-seulement de l’Italie, mais de l’Europe! Qui peut dire où en serait la civilisation moderne, si le torrent de la féodalité n’avait rencontré des obstacles et à la fin une barrière dans ces fortes communes italiennes, à la tête desquelles il faut à coup sûr placer Florence pour son héroïque obstination? Quoique Français, il ne nous coûte nullement de reconnaître la priorité du peuple anglais dans la liberté; mais il sied bien à un Anglais, il est honorable à M. Trollope de reconnaître le droit d’aînesse de ces vieux et braves Florentins, et de confesser franchement le trait de famille qui les rattache aux fondateurs de la liberté britannique.

L’historien anglais pousse plus loin encore les rapprochemens; le souvenir de sa propre nationalité et de l’histoire de son pays ne l’a nulle part mieux servi que dans l’explication du sens de ces noms énigmatiques de guelfes et de gibelins. Tous les historiens racontent, comme une chose très naturelle, que cette querelle interminable, universelle, naquit d’un mariage rompu. Un Buondelmonte fiancé à une Amidei épousa une Donati le 10 février 1215. Ce jour-là, dit un chroniqueur, commença la ruine de Florence. L’auteur de l’injure ayant été assassiné, les Buondelmonti changèrent de parti, et passèrent du côté de leurs ennemis pour combattre leurs amis de la veille. La ville entière se partagea en deux camps, et en voilà pour des siècles. Est-ce bien ainsi que peuvent naître deux factions qui se déchirent ensuite durant trois cents ans? Un contrat déchiré, même dans le pays de la vendetta, met aux mains deux familles, non pas une cité, un peuple entier; le changen)ent de parti des Buondelmonti prouve qu’il y avait déjà deux partis.

Si l’on interroge la tradition, elle répond sans doute que les gibelins tenaient pour le parti impérial et les guelfes pour l’église, ce que l’on ne conteste pas dans la plupart des cas, mais ce qui ne lève pas la difficulté. Ni l’enthousiasme pour l’un de ces deux partis ni la haine contre l’un ou l’autre n’ont mis aux mains ces citoyens d’une république de banquiers. La rivalité entre la couronne et la tiare est quelque chose de trop uniforme pour expliquer tant de complications et de vicissitudes. Il y a ici un conflit plus général et plus constant. C’était la lutte de ceux qui possédaient et qui